C'est en écoutant la musique classique d'un piano à l'autre bout du boulevard Saint-Michel en plein Paris que je me suis mis un jour à peindre follement cette dernière toile. Elle faisait six mètres sur deux mètres du haut de ses dix doigts, elle avait le regard clair des grandes passions caractérielles. Les dix premiers centimètres elle avait jouée sur le fil du couteau un prélude de Bach, la longue caresse du pinceau qui s'ensuivit, agonie de l'instant, tout n'est que fuite pouvions-nous penser à l'écoute. Le temps était chargé de grisaille, il pleuvait de grave en aigu, lentement, tout doucement, les petits détails et reliefs, le fondu-enchaîné de la peinture, les aplats, le format délicieux de celui qui - entretemps - s'oublie à même la toile. Un arc-en-ciel c'est bien plus magistral en musique, c'est la lumière perçant l'obscurité, le peintre divin. La voici qui se sert de ses poings, elle hausse le ton, la tragédie s'accélère, je bois une lampée d'un vieux whisky dans ma tasse à café, quelques pas en arrière, c'est l'instant final, les derniers débordements, il me semble que tout se presse en un instant, quatre minutes clouées ensemble. On retient sa respiration, sa robe noire est plissée, nos mains sont moites, le temps toujours ce putain de temps qu'il soit dans l'air ou partout, il s'infiltre, un jour il détruira nos oeuvres, nos vies qu'on s'en fout, mais l'éternité, quel dommage! Et l'Hippopodame est revenu à sa place, juste après, c'était un autre temps, les années 50, j'avais la clope au bec dans ma chambre de bonne, et de l'autre côté de la rue une musique que je n'entendrai plus jamais de ma vie, qui me hantera pour toujours. Comme ma toile de six mètres sur deux, complètement foirée, que jamais on ne m'achètera. L'éternité n'était pas faite pour moi. L'oiseau noir s'est envolé de son fauteuil d'orchestre, un léger sourire sur ses lèvres, la tâche accomplie. Elle s'en va dans la cuisine, revient au bout d'une minute, une tasse de thé à la main qu'elle sirote lentement le long de l'encadrement de sa fenêtre ouverte. Son visage fin est celui d'un rapace, lentement elle quitte l'encadrement, elle s'envole, j'ai peur, je veux courir à elle, mais elle s'envole, loin, plus loin qu'au-dessus de tous les Saints de la capitale. Elle est déjà au paradis, et l'autre est encore ici, c'est un autre monde que le nôtre, quand nous évoquions le piano, la tête sur l'oreiller, dans les bistrots, entre deux clopes, entre deux chansons, entre deux amours.
Guardians of the louze
Il y a 1 an
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
overdose(s)