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24/08/2011

92. l'art(iste)



L’absurdité du présent intérieur, elle joue avec ses poupées sur la toile, s’amuse à couper le sexe humain pour le remplacer par ses jouets. Le sac enveloppant les courses devient la prison dans laquelle l’enfant s’étouffe. Indubitablement, elle devient marginale, elle fait froid dans le dos la sauvageonne mais moi je l’aime bien. Je la laisse faire ses petits dessins, sa fille est devenue la mère, la mère la fille. Elles recréent le monde toutes les deux, ensemble, la fille en tant que modèle, la mère peintre. C’est toute la culpabilité d’une enfance non-désirée, il ne fallait pas le dire, voilà, c’est dit, elle étouffe. L’ennui ennemi a fini sa course, maintenant c’est le cœur à l’explose pour vaincre le champ des possibles. S’amuser encore à greffer l’étrange, l’irréel, pour rompre la chaîne du temps. Le travail n’est plus routine, la routine n’est plus que du travail. L’horrible enfance est passée, le jeu des adultes sexués commence. Il faudra bien lui dire un jour que je l’aime pour ce qu’elle est, marions-nous, ayons des gosses, mourrons, et renaissons à nouveau. In utero, on sera directement emballés dans nos consommations d’adultes, on en ressortira déjà grand, le monde aura changé, un soleil nouveau se lèvera sur la terre.

19/08/2011

93. Ex.



C'était une question intéressante, et elle la posait en regardant les yeux sombres de son interlocuteur pour y déceler une part de vérité mystérieuse: "et vous, quel président aimeriez-vous en 2012?". Il n'était pas moins décontenancé par ses lèvres charnues qui brillaient, deux joyaux qu'on avait abandonné par mégarde sur la table. Ses mains posées à plat sur le tissu de la nape froissée. En quelques secondes il émit une réponse bref et concise: robin des bois. Elle s'inclina alors, ses lèvres se transformèrent en un sourire étrange, à mesure qu'ils se mettaient à parler, une tension sexuelle émanait de leur discussion. à la fin ils ne savaient plus quoi dire, il lui avait sorti un discours sur sa génération qui ne croyait plus en rien, élevée au robin qu'ils ne connaissaient plus, elle avait rétorqué que ce pays n'était pas si mal, d'autres étaient bien pires, avec des pires situations. Après un débat sur l'économie ils se mirent en marche tous les deux, quittant le bar où ils étaient attablés pour les couloirs de l'hôtel, il ne se rappelait plus très bien comment ça avait commencé toute cette histoire, c'était peut-être la première qui l'avait embrassé...

15/08/2011

94. Armageddon




J'étais dans les dramas, j'avais envie de rien, assis sur le canapé à regarder le temps au dehors qui filait. Le congé passait trop vite, la pluie stagnait, le froid rentrait. J'avais trop fumé, avalé quatre cafés depuis le réveil, mes paupières me brûlaient, mon oeil se faisait lourd. Pour changer; trop de sommeil en retard. Tim Burton me navrait chaque jour un peu plus. Mes lunettes de soleil ne m'allaient plus. Le pétard de la veille ramolissait dans le cendrier, l'excuse à la con de Magalie traînait sur la table basse au milieu des déchets, des emballages éventrés, de la cocaïne de Michael laissé là par mégarde. Plus tard dans la nuit, allongé dans mon lit à fumer sans trouver le sommeil, je repensais à la mort: "Il jouait du piano la nuit, des vieux airs qu'on retrace dans l'air avec un peu de goudron sur les plumes pour se faire croire qu'on était complice du meurtre. Les volets fermés, la porte grande ouverte pour laisser filer l'air. Il jouait à l'aveuglette, c'est à dire en fermant les yeux, du bout des doigts." Encore après, j'ai regardé par la fenêtre au travers du balcon les prostituées qui jouaient dans la rue, les démons qui galopaient ça et là, un bus coupant la nuit en deux dans la fraîcheur, la vie ressemblait à l'intérieur de son bus, l'hégémonie de la mixité, parfois du vide.

07/08/2011

95. Ionesco, journal en miettes



Je suis partagé entre les regrets et les remords. Il faut se décider, il faut choisir entre les regrets et les remords. On ne peut supporter deux choses à la fois. Le remords: je me sens coupable d’avoir fait du tort aux autres. Regrets: je me sens coupable d’avoir fait du tort à moi-même. J’abandonne les regrets pour les remords, puis les remords pour les regrets. C’est cela être emmuré, c’est cela la prison. Le matin, ce sont les regrets. Dès que la nuit tombe, voici les remords.

06/08/2011

96. it's really like you


Les musiques fatales qui se ressemblent toutes, le même air, les mêmes accords, à peu près les mêmes paroles. Elle me chuchotait à l'oreille en me tenant par les hanches disant mon amour mon amour sur la plage à en mourir mon lapin je t'aime roudoudou... Y'a le cri des enfants la nuit, les tristesses du lendemain, l'ennui à en mourir d'avance. 21 jours peut-être. Choisir son paragraphe avec soin, écrire jusqu'à l'épuisement. Un nouveau roman un nouveau roman un nouveau roman. Les seins de l'autre se trimballant sous la lune à minuit, le parlé d'une autre langue, du latin? non de l'espagnol qu'on croirait cubain. Un cigare aux lèvres, un dessin-animé dans la poche, l'adresse du club latino de la rue la moins connue de Michelet mais la recette d'une choucroute en guise de fête. J'ai toujours choisi avec soin mes dernières hypothèses, ce monde est surréaliste à fond quand on y pense avec douceur et sensibilité.




97. If I Were A Rich Man



La démarche légèrement teintée de désespoir, c'est à dire les épaules abattues, comme si elle portait le poids du monde entier sur son dos, elle remonta la rue de la soif. Par dépit, elle songeait souvent à se laisser tenter de rentrer dans l'un de ses restaurants, demandant un plat chaud fait de poissons pour la plupart. Elle n'avait malheureusement plus assez d'argent, alors venait le cafard, l'envie d'en finir d'un coup comme ça, se jeter du huitième étage (si dans cette foutue ville ça existe) ou un bol entier de pilules. Y'avait aussi la pendaison. Se jeter sous les roues d'un engin. Mille manières différentes d'en finir. Mais ce qui la tenait envie c'était le roman de la peur, un livre de 1800 pages reliées entre elles par du fil, dos plié, couverture semblable à du carton. Ce livre, elle l'avait bientôt fini, elle voulait déjà le relire. C'était comme si l'auteur avait enfin pu la comprendre dans toutes ses années de galère à balayer dans le moindre coin de la ville. Elle avait mal de partout, ne connaissait ni les grasses matinées ni les congés. Les vacances, c'était pas pour elle tout simplement. Il y'avait le livre, un point c'est tout. Le loyer à payer aussi. Les courses. S'occuper des enfants, pas un instant à elle. Les rumeurs de ses fils, d'ignobles assassins coureurs de jupons qu'elle avait délaissés parvenait parfois jusqu'à elle, elle faisait la sourde oreille, se replongeant dans sa lecture. Et Sonia qui revenait en boîtant, la mine déconfite, les paupières cernées de la nuit passée. Elle venait embrasser sa mère avant de se coucher aux aurores, sentant encore cette maudite odeur de sperme, de sang, d'alcool et de tabac froid qu'on chasse à renfort de parfum bon marché. Mais le livre, ah le livre, toujours le livre. Et un jour elle atteignit la dernière page, elle comprit qu'elle avait fait fausse route.