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29/09/2011

86. c'est nul



Je ne connais pas réellement ses mots à lui. J’entends que ça parle de bonté, de miséricorde, il est aussi question de souffrance, beaucoup trop. On me parle d’un dieu que je ne connais pas, si peu. Nous n’avons jamais été intimes, pas que je le sache. Et l’on se lève interminablement, et l’on se rassoit, amen. les bancs grincent sur le sol carrelé, il fait froid. En levant la tête on voit bien évidemment la croix, les mines affligées sur le côté de Pascal Bruno et Xavier, Aude dans un coin qui feint d’être bouleversée, Pascale qui me nargue de haut, Dominique et Christiane, Jean-Louis et Jean Marie. J’ai envie de faire une pause, d’aller fumer ma clope, lentement, tout en douceur, le deuil se propage, cette gangrène absurde. Ils se voilent tous la face, ils ne connaissaient pas la morte mais moi si. Moi si? Je ne sais plus si on peut connaître véritablement quelqu’un. Ai-je vraiment un jour existé? Je me souviens que oui, à une époque, une plaine ensoleillée, un peu de douceur. J’aurais dû apporter une caméra discrètement et filmer la scène, mais pendant un enterrement cela ne se fait pas, il paraît. J’aimerai tout filmer, du jour de ma naissance à la dernière image. Même des jours d’ennui, et cette mouche qui flotte autour du cercueil, son vole régulier, c’est un petit bout d’âme qui palpite dans l’atmosphère, remonte le long des bancs avant de finir en ligne droite jusqu’à la porte d’entrée qui est restée grande ouverte. Dehors on peut voir les rayons du soleil gagner le parvis de l’église, la voix du curé qui résonne, Yves-Marie derrière moi demandant à Dominique si c’est d’un chanoine qu’il s’agit. Son souffle proche de ma nuque. Sa grande taille. Bien sûr il faudrait jouer avec la résolution de l’écran, couper un peu. Le film ultime. D’un coup quatre hommes se dirigent, ils se placent de chaque côté du cercueil, prennent les poignées dorées. Ce n’est jamais comme dans les films, ici c’est maladroit, on ne sait pas comment ça se porte, on le place gauchement sur l’épaule, mais personne ne fait la même taille. C’est bancale, ça menace de s’écrouler à tout moment, j’imaginerai bien cette dernière blague d’un corps s’écroulant hors de sa boîte, quelque chose du genre. Après c’est la course derrière la voiture qui roule délicatement, chez moi on enterre les gens dans un cimetière en pente, ici tout est droit, carré, bien rangé et bien mis. Le soleil fait se refléter des visages fantomatiques dans la vitre arrière du véhicule, dix personnes alignées qui se tiennent la main de l’église au cimetière. On se pousse du coude pour être le plus triste, le premier. Arrivé à l’intérieur du cimetière on se bouscule tous à l’entrée, chacun veut gagner la place la plus proche du bois, chacun prend ses larmes en bandoulière, même des hommes qui jusque-là n’avaient jamais pleuré. Sur la croix de bois on a gravé son prénom, juste son prénom. C’est une croix de bois transitoire en attendant le marbre, tout là-haut s’il existe un paradis elle doit bien se marrer à nous voir ainsi engagés dans cette bouffonnerie. Jérôme se détache du lot, il me ressemble, il se détache en arrière de la foule, il n’est pas présent, il est là sans être là. Ça se verrait autant si je m’en grillais une? Non, fumer dans les cimetières ça doit bien être passible d’une amende. Les abeilles nous inondent, un nid se trouve pas loin, planté en terre, bien vivant. Je m’en amuse en les chassant d’une main, toute la foule se met à trembler, à grincer des dents, certains doivent maudire la morte de cet affront. Je feins d’être allergique, je fais quelque pas en arrière, atteint la grille, personne ne m’a vu à part Jérôme qui s’approche de moi, accablé d’effroi.
- tu ne peux pas te retenir?
- non. Dis-je en rangeant mon briquet dans ma poche.
Les volutes de ma fumée se confondent aux nuages. Un silence se transforme en prières. Jérôme désespère, il me traite de con. J’aimerai lui avouer que oui, j’en suis un, mais j’ai l’esprit de contradiction, j’aime parler aussi pour ne rien dire. Il se remet une mèche en place, il est ridicule sans en avoir conscience.
- j’en ai ras le cul de toi.
- et toi? Tu crois que tu me gonfles pas à toujours être parfait en tout??
Son regard noir croise le mien, oui mon vieux, tu frises la perfection, l’emmerdement, ai-je rajouté. J’ai jeté ma clope à terre, fermé les poings, je me suis éloigné du cimetière, j’en avais assez vu.
- tu vas où?
- je me casse loin de vos conneries, c’était une erreur de venir.
- c’est ça, vas-y, barre-toi comme tu as toujours fait.
- tu sais très bien que je ne suis pas d’ici! Me suis-je arrêté.
- mais tu n’es de nulle part…
J’ai repris ma course, sans me retourner. Il n’y avait pas de transition à la sortie, rien que des immeubles, la circulation, des passants, la ville déjà si proche, entourant ses morts, les étouffants tout en les oubliant. Dans d’autres villes on avait au moins la courtoisie de les tenir un peu à l’écart. Et les immeubles étaient gris couleur pollution, les visages sentaient le renfermés, les passants n’avaient aucun plaisir d’être là, ça paraissait même une contrainte constante gravée sur le visage. Je me suis installé dans le premier bar qui venait, un établissement minuscule, quelques tables, le sol n’était pas lavé depuis plusieurs jours. Dans la crasse on voyait à peine ce qu’il y avait dessous. Les chaises et les tables étaient collantes, la télé dans un coin transmettait une course de chevaux illusoire, des hommes gueulaient leurs paris à la con, au fond du bar Emilie était dos au client à nettoyer la machine à café, les étagères, les verres… le patron m’a remarqué, il est venu à moi, il m’a demandé ce que je voulais. J’ai demandé si c’était possible d’avoir un café, il m’a annoncé que oui, bien sûr, c’était possible. Il avait pris une mine assez grave, savait-il d’où je sortais? Émilie avait pu lui dire, sans doute. Elle s’est retournée lentement, elle m’as esquissé un sourire sans surprise. L’autre m’apporta le café, elle le suivit derrière de deux pas au moins, elle prit place en face de moi.
- ça s’est bien passé?
- non. Je n’ai pas envie d’en parler.
- ok. Tu restes longtemps?
- je repars demain matin.
- tu dors à la maison?
- j’ai une chambre d’hôtel.
- dors chez moi!
- ok. J’ai avalé mon café d’une traite. Je l’ai embrassé sur la joue en lâchant une pièce dans sa main et je suis sorti. Dehors le froid gagnait la ville, le vent aussi, j’avais envie de fuir, déjà, si tôt. J’ai ravalé ma fierté et mon mécontentement en me dirigeant la mine renfrognée les mains dans les poches jusqu’à ma voiture. J’ai attrapé la caméra, je suis parti dans Paris filmer toute la journées des scènes de vie inédites. Je fuyais le plus possible la majesté des grands monuments au profit des scènes de bar, tournant autour des terrasses, paraissant un étrange individu pervers, je m’en foutais bien. Le soir tomba rapidement, j’avais mis dans la boîte beaucoup de séquences étranges, j’avais envie de tourner un film sans acteur, un projet ambitieux, étonnant aussi. Du moins un film avec que des parcelles de vie. Mais l’idée était irréalisable, inintéressant, je tournais en rond dans mes idées en relisant un peu de philosophie, j’étais un peu paumé ce jour-là. Mes clopes se consumaient d’elles-mêmes, j’avais la mine triste quand je me filmais de temps en temps par mégarde ou que je testais le positionnement de l’objectif. Émilie vint me rejoindre à la nuit tombée, nous allâmes dans un café assez friqué prendre un verre, j’ai fait tourner la caméra pendant qu’elle commandait, vue sur son menton au milieu de l’écran, son cou, sa bouche qui voulait un diabolo grenadine, ma voix en fond sonore qui commandait un autre café. Derrière on entendait le serveur qui disait « très bien je vous apporte ça de suite » puis les voix à demi-étouffées des autres clients, les bruits de vaisselle au loin, les verres s’entrechoquant, un flipper sans doute dans un coin de la pièce, je ne me souviens plus. Ensuite j’ai posé la caméra sur la table, le trépied en hauteur sur son visage timide qui se réhabituait peu à peu à être filmé.
- qu’as-tu fait pendant cinq ans?
- j’ai pas mal voyagé, j’ai fait des petits boulots.
Elle ne me regardait plus moi, mais l’écran, je suis passé derrière l’objectif, c’était une interview à l’envers.
- et les femmes?
- quoi les femmes?
- tu en as eues?
- non.
Silence gêné, elle me regarde moi ou la caméra, je ne sais pas. Jérôme est rentré dans le bar, j’ai sursauté, je ne m’y attendais pas. J’ai voulu demandé ce qu’il faisait là, mais elle s’était déjà retourné en direction de l’entrée pour comprendre mon étonnement, elle se retourna de nouveau dans ma direction, observant sans doute ma réaction quand elle m’avoua clairement qu’elle l’avait appelé pour qu’il nous rejoigne. Jérôme scruta la salle, ne tarda pas à nous retrouver à l’aide de grandes enjambées, il commenta d’un coup (et on le voit faiblement à l’image):
- t’es encore avec cette merde??
Sa main empoigna la caméra, il l’envoya valser à l’autre bout de la pièce en un instant. Je me suis relevé et j’ai fermé le poing, non, hurla Emilie, c’était trop tard, je lui avait déjà frappé le visage, mon autre bras se raidit, mon poing rencontra son ventre, les employés s’agitèrent à nous agripper, on nous poussa dehors, Jérôme me fît face, Emilie tenta de nous séparer, il fondit sur moi, abattit ses poings sur ma gueule, d’autres dans mon ventre, il savait bien boxer finalement. Je me suis mangé le trottoir, je n’ai pas eu le temps de comprendre que de son pied il m’écrasa la main gauche qui craqua violemment. J’ai saisi ma main en un éclair dans l’autre, je me suis relevé en position assise, du sang coulait de mon visage, je me suis installé contre un poteau, l’autre debout soufflait que je n’étais qu’un connard. J’ai sorti une clope déformée par les coups de mon paquet, je m’en suis allumé une avec la main qu’il me restait, j’ai inspiré longuement, j’ai recraché la fumée, nous sommes restés là, interdits, tout autour de nous les clients s’étaient attroupés, emmenant Jérôme qui hurlait des insultes à mon égard, et Emilie m’avait déjà relevé, et moi, qui pissait le sang de mon visage j’ai attrapé la caméra à l’objectif brisé que me tendait une cliente assez jeune en la remerciant et nous avons déguerpis dans l’autre direction, mon bras passé sur ses épaules. J’étais abruti par les coups, je voyais des lumières qui glissaient le long du plafond de la bagnole, j’entendais les bruits du moteur, le « je veux pas qu’on fume dans ma caisse » du chauffeur de taxi, ma main m’élançait drôlement, Emilie le rassurait en lui disant que j’allais l’éteindre, j’en ai grillé une autre pour la peine, il m’engueula de plus belle, « je vais payer! » tempéra-t-elle. Elle lui promit un supplément, la voiture se stoppa, tout va bien se passer, je me suis redressé, les néons blancs me brûlaient la rétine, une infirmière me prit en charge. Le docteur m’apprit que j’avais une côte cassée, la main cassée, que le sang sur mon visage était dû à l’arcade qu’un de ses poings m’avait ouvert. On me colla un bandage, une atèle sur la main, on me fit signer des papier, on me conseilla repos et médicaments, et en un éclair j’étais dehors. Quand nous sommes rentrés à son appartement, Emilie n’avait pas dit un mot. Au fond du canapé, les vestiges de ma caméra se perdaient sur le cuir foncé. J’ai pris place, elle m’amena une couverture et un oreiller, me souhaita la bonne nuit et s’en alla se coucher. J’ai sorti d’une de mes poches les câbles qui servaient à relier la télé à la caméra, j’ai branché le tout, le programme bleu s’alluma sur l’écran. J’ai mis en route la dernière vidéo, revoyant la scène. Sa voix à peine perceptible du bruit de fond.
- et les femmes?
- quoi les femmes?
- tu en as eues?
- non.
J’ai appuyé sur pause, je suis allé caresser son visage à travers l’écran. J’ai rapproché la table basse de la télé, je me suis allumé une clope, j’ai fait marche arrière et j’ai refait lecture.
- et les femmes?
Encore.
- et les femmes?
- quoi les femmes?
J’ai refait pause. J’ai longuement observé son cou, sa chevelure, sa bouche. J’ai refait tourner la scène jusqu’à ce que Jérôme intervienne et brise la caméra. La dernière image étant la paume de sa main agrippant l’objectif, le dernier son celui du choc brutal de l’appareil tombant sur le sol. Je suis revenu au menu principal. De la dernière vidéo j’ai sauté à la première. Elle datait de dix ans plus tôt. Il s’agissait d’une interview de mon professeur, Hélène Chambard.
- premier jour, commentais-je en voix-off, première vidéo. Voici Madame Hélène Chambard, professeur au lycée…
- vous n’avez pas le droit de nommer l’établissement, jeune homme.
- bien, ok. Pouvez-vous nous dire en quoi consiste votre poste?
Elle ne regardait pas l’écran, jamais, ses cheveux étaient d’un blanc immaculé, sa peau fanée, légèrement bronzée, tremblait légèrement quand elle parlait. La lumière crue de la vitre derrière elle brillait sur l’objectif, rendant flou les mouvements, les détails, j’ignorais encore comment il fallait filmer, quelle posture il fallait choisir. Le champ n’était pas contrôlé un seul instant, je me rappelle de ma main posée sur l’appareil, ça faisait trembler la caméra. À côté d’elle il y avait une bibliothèque, plusieurs livres. Je me suis endormi lentement, assis sur la table basse toujours proche de l’écran.

2. J’ai fixé l’écran, il faisait nuit encore, ma montre annonçait qu’il était tôt, dans la chambre au fond de la pièce ça bougeait. Je me suis approché de la porte, derrière j’entendais des bruits de mouvement, j’ai frappé à la porte. Oui? Demanda-t-elle. Tu es réveillé? Elle me fit rentrer. Je dois aller chercher une nouvelle caméra, ou la faire réparer, ai-je annoncé sans préambule.
- Tu es vraiment bizarre, tu le sais ça?
- oui. Je sais. Mais j’ai besoin de ma caméra, j’en ai besoin pour repartir.
Je suis allé me laver du mieux que je pouvais, elle était à la cuisine en short de nuit et t-shirt, baillant encore. Peu à peu le jour se levait sur la banlieue, au-dessus des immeubles. Les teintes colorées diverses se perdaient au profit d’un bleu-gris uni. Le café fumait, j’avalais mes cachets avec. J’ai allumé une clope, elle toussa pour me faire comprendre qu’il était encore trop tôt. J’ai éteint ma cigarette et j’ai attrapé un livre qui traînait dans un coin, c’était un poète étrange qui avait basé ses alexandrins et quatrains sur l’automobile. Il est pas net ce type! Ai-je commenté.
- parce que toi tu l’es? Fit-elle en prenant une moue amusée.
Elle était debout, contre la gazinière, à boire son café lentement, je voulais plus que tout la filmer, ne pas perdre cette image. Son corps à moitié dans la pénombre en contre-jour du soleil qui se levait, son ventre un peu arrondi, ses mèches de cheveux dans tous les sens, ses yeux perdus dans le vague, j’ai ajouté que j’étais désolé pour la veille, elle émit un son faible qui signifiait n’en parlons plus, le passé c’est le passé. Du moins l’ai-je compris ainsi. Elle s’en alla prendre sa douche, je me suis concentré sur les vers du livre, mais je ne parvenais pas à m’y intéresser. Quand elle sortit de la douche il ne nous fallut pas longtemps pour terminer de nous habiller, nous nous retrouvâmes dehors dans le froid, emmitouflés dans nos manteaux, les mains au fond des poches jusqu’à la voiture, il était encore tôt, les boutiques s’ouvraient les unes après les autres. Elle m’emmena dans une grande surface qui tenait plus du bunker, le parking était déjà envahi des matinaux insomniaques ou de retraités. La boutique d’électronique était bondée, il me fallut batailler durement avec le vendeur pendant de longues heures pour qu’il me fasse essayer un objectif. J’ai mis en route la caméra, c’était ok, dans le petit écran de côté apparaissait la mine énervée du vendeur que j’avais malmené plus tôt. Combien je vous dois? Il me fit une addition assez salé que je payais sans rechigner. Allons faire des courses! Conclua Emilie. Je l’ai suivi dans le dédales des rayons, elle prenait au hasard ses aliments, ses produits, et moi je la suivais d’une distance raisonnable en la filmant. Elle s’amusait de ça, de temps en temps elle me jetais à la gueule une boîte de corn-flake, un paquet de PQ, des aliments en tous genres que j’évitais en riant. Onze heures sonna, j’avais faim. Elle aussi. Elle m’entraîna à la sortie, dans un fast-food aux couleurs criardes après qu’on eût installé les courses dans le coffre. J’étais de bonne humeur, nous faisions la queue au milieu d’autres individus agacés, il ne nous coûtait rien d’attendre en discutant. On déboucha sur un bar en plastique, jusque là je n’avais pas levé les yeux sur le menu, je n’avais pas encore fait mon choix, à un mètre tout juste de la caissière en tenue de travail qui nous demandait « qu’est-ce que je vous sers? » en souriant tellement qu’on pouvait examiner la propreté impeccable de ses dents. J’ai sursauté en laissant tomber un plateau qui était posé sur le comptoir, je me suis reculé d’un bond, je suis tombé à la renverse, les yeux paniqués en la voyant elle dans ce costume ridicule. Elle ajouta un « monsieur? Ça va?? Vous allez bien? » J’ai paniqué encore plus, oui, c’était la même voix… c’était impossible… j’ai pris mes jambes à mon cou, Emilie s’est excusée en ne comprenant pas, elle m’a emboîté le pas, j’étais dehors, le visage assombri, un flot de souvenirs m’envahissait par vagues, je tremblais en tentant d’allumer une clope. Qu’est-ce qui se passe? S’inquiétait-elle. Je tremblais sans pouvoir répondre. Le soleil dans les yeux m’aveuglait, le vent me rendait sourd, les souvenirs refleurissaient. La caissière décidément inquiète avait fait le tour du comptoir, elle ne m’avait pas reconnue, elle venait voir si tout allait bien en se penchant sur moi, tout va bien monsieur? Elle s’installa auprès de moi, une main sur mon épaule, je ne pouvais y échapper. Je me suis mis à fondre en larmes, excusez-moi, ai-je répondu, j’ai passé une sale journée! Pas pire que la mienne, me rassurait-elle, non non, croyez-moi, j’ai fait plus de 900 bornes pour venir enterrer une de mes tantes, je me suis engueulé sévèrement avec mon cousin et le comble est que je viens de rencontrer mon ex… Un responsable intervint, Cécile, viens vite, tu as du travail, pas le temps de glander! Elle me tapa sur l’épaule en signe de courage, elle fit un grand sourire à Emilie en lui demandant de prendre soin de moi, elle se pencha sur moi quand l’autre retournait à son poste, comprenant lentement ce qu’il se passait.
- tu la connais?
- mon ex… elle ne m’a pas reconnu…
- C’est elle la fameuse Cécile??
- oui. J’avais une chance sur un million que cette scène se passe.
- et le pire c’est que tu ne l’as pas filmée!
- ce n’est pas drôle!
- mais pourquoi ne t’a-t-elle pas reconnu?

22/09/2011

87. la journée classique



j'ai rêvé toute la nuit de elle, son visage et son corps entre mes mains. Au petit matin une ambiance fanée venait à me réveiller, l'automne s'approchant. les livres sur la table de nuit qu'on venait de martyriser n'en pouvaient plus, sous la couverture usée s'achevaient les mots, au-dessus de multiples portraits me contemplaient, vieux de plusieurs siècles, ne sachant plus quoi dire. la clope et le café du matin, une odeur de poudre, la gueule dans du coton au milieu des bruits suspendus sous le balcon qui me porte. Froid, pluie et sanglots longs ne peuvent rien changer à cette sensation qui me gagne, ton fantôme qui me poursuis, l'impression inachevée de n'avoir pas tout dit. Ailleurs je savais qu'il y avait une autre vie sans moi. ça se passait dans un rond-point, cette image, c'est comme une seconde peau qu'on tente d'arracher par tous les moyens sans y parvenir. Le sais-tu? tout ce qui comptait vient de m'être enlevé, tout ce qui me reste va être saisi, le passé finit toujours dans des flammes ou des oubliettes, c'est selon. Plus tard un enterrement en plein vent, j'avais les yeux rivés sur cette mouche qui volait autour du cercueil, ensuite elle a suivi la longue allée, tout droit jusqu'à la porte grande ouverte, disparue. je me suis retourné à nouveau, je me suis levé, assis, levé, en m'endormant, en me réveillant, tu n'étais pas là ni là, au milieu des paroles sacrées. ensuite on arracha la boîte au socle de marbre, on se dépêchait derrière le cercueil pour savoir qui aura le prestige d'être le plus en deuil, c'était d'un macabre ridicule, les autres avec leurs costumes noirs qui pleuraient une vieille inconnue. on se pressa dans le cimetière, la famille d'un côté près du nid de guêpe et les autres de l'autre. Moi, les guêpes me soulaient, j'avais envie de m'en griller une, ce vent m'abrutissait, j'avais froid un peu, aussi. tu étais encore là, sous mes cheveux, un peu plus loin, dans ce liquide m'entourant le cerveau. J'avais un peu de toi sous la peau, j'enterrais aussi une inconnue, je ne savais pas pourquoi j'étais triste et je parlais tout bas "nos amours tyranniques se ramassent à la pelle".

19/09/2011

88. en amont de la route sous le petit bois



Il y avait également cette longue plage en grève, le bruit de la mère qui roulait en bas, hurlante, criante, vociférante des injures contre les fils, de tous temps immémoriaux. La grande plinthe, qui faisait fuir les touristes, ces mouettes gueulant dans le vent qui sifflait. Cette ambiance d'aimante. La 4L garée plus haut sur du sable mou, ce petit quelque chose de nature sèche, les frémissements d'une radio dans le lointain vers les habits à Sion. Qu'elle était belle, ce petit bout de femme dansante, un thé dans une main une ombrelle dans l'autre, son sourire merveilleux d'un autre tant qu'elle disait ne plus en vouloir. Ras-le-bol du passé, je veux fumer, je veux aimer, je veux chanter et danser. Tournons toutes les pages, sautons les chapitres ils vécurent heureux et patati et patata, ils eurent beaucoup d'enfants, oui, des centaines, des millions, toute une espèce humaine... Le soir elle rentrait à l'appartement, les vêtements trempés, le sourire de biais, figé par le froid qui venait de la saisir sur place, ses lèvres violacées, se discours sur la méthode, ce bien-figé dans les ténèbres de sa peau-porcelaine. Elle voulait aimer seulement. Puis elle disait, puis elle voulait, surtout ne pas montrer qu'elle était foutue, perdue, qu'elle n'avait plus rien, plus aucune carte à jouer. La 4L était restée là-bas, elle était bien, disait-elle, elle pensait sans doute qu'elle allait pousser comme une plante. Va donc savoir. Et la lune montait dans le ciel, se réchauffant au coin du feu en écoutant les chants de la mère au loin dans le noir, en contrebas de la maison qui disait: "et je vous aimerai toute ma vie, et je vous aimerai toute ma vie". N'avez-vous jamais entendu le souffle même de la vis?

14/09/2011

89. Synthèse






- Tu vois, je n'ai été heureux qu'avec toi, sans toi, depuis, je suis malheureux.

- Mais, et ces photos récentes où tu es entrain de sourire..?
- Des faux, je ne souriais pas, je faisais semblant, toute ma vie j'ai fait semblant.

90. le portrait de Dorian Gray



« - On dit que les bons Américains, quand ils meurent, vont à Paris », dit avec un petit rire Sir Thomas, qui possédait une vaste garde-robe remplie des défroques de l’humour.
« en vérité? Et où vont donc les mauvais Américains quand ils meurent? Demanda la duchesse.
- Ils vont en Amérique », murmura Lord Henry.









12/09/2011

91. l'instant vertigineux



Je n'écris plus pour toi, parce que bien des choses ont changées. Tu es toujours omni-présente, chaque matin, la cicatrice béante au milieu de la gorge, je fume pour oublier. Dans cette maison du bout du monde qu'on a bâtie tous deux à flanc de passé, je me suis rongé les sangs bien des fois. J'ai tourné en rond de la cave au grenier, à présent que tout change encore j'y retourne, je déterre de vieux souvenirs, j'enlève la poussière sur les cadres qu'on a accroché aux murs par mégarde, un instant d'autrefois que j'exécutais en me croyant heureux. J'écoute de vieilles musiques de toi, des vieux morceaux, la blessure béante et tout ça, celle qui me fais boire pour oublier. Et jamais je ne cesse de retourner mes désirs, mes frustrations dans mon crâne qui tourne à mille à l'heure, ça fait mal, ça brûle, j'ai beau me détruire pour aimer je ne sais plus ce que ça fait ce remplissage. Et l'oiseau usé aux ailes déchirées que je suis ne pourra jamais retrouver la splendeur des aigles, il ne retourna jamais au nid, je suis le martyr de mes propres démons, le serpent se mordant la queue, tout est de ma faute, je n'en ai que trop conscience. Les mots de Mickey ne me font plus rien, tes dessins archaïques sont depuis longtemps au feu, tes souvenirs resplendissent, un éclair dans le lointain, le soleil qui brille le lendemain, le jour nouveau, les promesses, au cul! Je me complais dans mon malheur, dans cette destruction incessante, dans ce brouhaha d'idées, ce vacarme, tu le vois comme je l'aime mon monde? Il est beau, il est élégant, c'est un dandy d'un nouveau genre face à la pute aux cuisses écartées d'en-face. Mais dans cette maison je suis revenu quand même, comme on revient de tout. Je t'ai aimé pour rouvrir la blessure à nouveau, j'ai jeté ta nouvelle adresse au feu pour ne plus te poursuivre. à présent je caresse ta joue d'une texture nouvelle, la regrettée joue que je ne peux toucher, le solide ne touche jamais l'air ambiant si tu veux tout savoir.