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30/08/2010

219. ironie mordante


Alexandropolis
Après la fournaise de la route Salonique-Alexandropolis, le bonheur que c’est de s’asseoir devant une nappe blanche, sur ce petit quai aux pavés lisses et ronds. Pendant un instant, les poissons frits brillent comme des lingots dans nos assiettes, puis le soleil s’abîme derrière une mer violette en tirant à lui toutes les couleurs.
Je pense à ces clameurs lamentables qui dans les civilisations primitives accompagnaient chaque soir la mort de la lumière, et elles me paraissaient tout d’un coup si fondées que je me prépare à entendre dans mon dos toute la ville éclater en sanglots.
Mais non. Rien. Ils ont dû s’y faire.


Ni
co
las

Bouvier

L'us
age
du
mon
de...

220. bien des dimanches d'ennuis ont fait l'homme que je suis devenu


Je n'en savais pas plus sur elle que ce que j'avais partagé, nous étions dans un bar. J. nous servait nos menthes à l'eau, j'étais ivre de quelque chose, sans savoir mettre un nom là-dessus. Et nos passions demeuraient incertaines. Inabordables.

Aux toilettes je repensais souvent à ma grand-mère, à tout un tas de choses, était-ce la couleur du papier peint ou l'odeur du savon qui s'y prêtait, je l'ignorais, je continuais mon bonhomme de chemin revenant ainsi tous les soirs dans ce même lieu dans le but de la voir. Elle ne travaillait pas le dimanche, alors tous les dimanches étaient d'ennui. Elle finissait plus tôt le lundi aussi, je trouvais la journée trop longue quand elle ne venait pas.

Alors j'en vins à connaître le nom de ces serveurs de l'absurde, du grand dadais qui ne savait pas quoi foutre de ses dix doigts au petit nain qui bougeait si vite qu'on ne voyait plus ses mains à des moments. L'odeur du café était toujours délicieuse, les volutes de sa fumée se perdait dans le vide de la terrasse, pour elle je pouvais arracher des montagnes avec les dents, dévaster des océans de soldat, ou me jeter à ses pieds...
J'aimais venir tôt le matin, très tôt alors. Le journal venait d'être livré, je sentais les pages se réchauffer entre mes doigts, leur petit monde débutait inlassablement, pareil à la veille en tous points. C'était un peu le calme avant la tempête.

J'avais goûté tout ce qu'ils proposaient sur la carte, de temps en temps je servais de cobayes à leurs nouveaux cocktails, je n'étais pas plus courageux qu'un autre: j'aurai dû lui dire à quel point elle comptait pour moi avant que les choses ne se compliquent.

Un matin de décembre elle n'était plus là.

29/08/2010

221. des petits anges bleus lui suçe les yeux


Je croise parfois des rayons de lumière dans la vie, ces petites lucioles qui resplendissent dans la nuit tels des sémaphores. D'une femme au cheveux courts lisant un livre au fond d'un bar je passe à un jeune homme au regard étrange orné d'un t-shirt noir.

222. préservation de l'énigme centrale de la vie


Chez moi. Le placard est éventré. Tout dégueule de son intérieur, vêtements, sacs que je prépare, livres et bande-dessinées. Je suis assis sur mon lit, je fume le restant d’une Lucky Strike, une besace trouée en main, attendant de la remplir. Je contemple mon t-shirt Superman dans un coin, je l’ai placé à sécher sur un radiateur dans une position christique, et il trône au milieu de tout ce merdier au sol. Dans chaque cendrier il y a un livre d’en moyenne deux cents pages que j’ai plus ou moins lues, je suis maintenant à trois jours de rentrer de Saint-Malo où j’ai passé une saison d’été qui pour une fois me laisse sans voix. Je ne sais plus trop quoi penser de ce que j’ai fait ces deux derniers mois, voir ces deux derniers mois et demi. J’ai l’impression d’avoir changé sans m’en rendre compte, en effet, je ne sais plus trop ce que je suis devenu. Fièrement, avant de partir, je comptais profiter de ma présence en Bretagne pour écrire un roman qui n’a pas eu lieu. Une vingtaine de dossiers portent des noms bizarres dans mon ordinateur, ce sont les restes de mes écrits inachevés, de ces romans qui n’existeront jamais, de ces longues histoires dont j’ai perdu le fil en cours de route. Je ne me suis pas trop intéressé à moi-même, aux alentours du 1er août je perdais ma voiture dans un accident, un de plus, et j’en étais venu à m’en foutre totalement. Le garagiste me faisait baisser les bras, je comptais m’endormir quelque part sur la route, ne plus bouger, ne plus écrire.

Puis tout le monde, tout autour de moi, mes amis qui se voulaient désireux de me voir écrire une longue histoire sans pour autant me lire avaient fini par me convaincre de le faire réellement. Idiot comme je suis-je leur ai répondu que oui, j’allais le faire, oui j’allais écrire quelque chose, oui ce sera long, oui ce sera tour à tour l’histoire d’un amour, l’histoire de plusieurs amours, des rencontres fortuites dans un train de nuit - ou de jour pourquoi pas - le paysage qui défile, histoire de la pluie à travers les siècles, un enfant atteint d’une leucémie, l’histoire de mes amis, de mes ennemis, de mes conquêtes extravagantes, d’un monde en décrépitude, de mon état le plus intime à l’avoué, de mes amours…

Si je vous écris maintenant que la saison est passée, cher Christian, c’est la preuve que vous aviez raison. J’ai effectivement baissé les bras devant la charge incombée, je me suis replié sur moi-même une nouvelle fois et le résultat est sans appel. Je n’ai rien écrit de conséquent de toute la saison. Mes histoires ne sont que du vent, des courants d’air qui ne vous ont rien laissé à produire, pas plus à publier. On ne me lira pas dans les taxis, ni dans les gares, encore moins dans vos librairies. Vous souvenez-vous pourtant que, avant de venir m’installer en Bretagne - à l’époque je voulais que ce fut définitif - j’étais un jeune homme de vingt-quatre ans plein d’ambitions. Je me demande par où le rêve s’est envolé. Je ne trace plus dans vos lettres qu’un constat bien désolant, ce pourrait être l’état de mon moral aussi, mais je ne suis pas comme ça. À vrai dire je ne sais même pas où me placer en ce moment-même. Bientôt j’irai récupérer une voiture pour m’envoler loin d’ici. Je passerai par chez vous, à Paris même. Je me veux la présence de mon cousin, alors que je ne suis guère proche de lui. J’ai bien plus besoin de vous, de vos conseils, du moins je veux me le faire croire pour me rassurer que je suis encore en mesure d’écrire. Ecriture folle alors, habituelle et routinière.
Vous êtes bien plus qu’un père pour moi, en doutiez-vous?

28/08/2010

223. the great Bob


Car la fontaine absente est plus douce encore pour qui meurt de soif qu’un monde sans fontaines.

224. SOLO


ce que j'aime, l'ambiance polar de la ville, le métissage des nations, ce mélange culturel saupoudré de bouffe indienne semi-végétarienne. La magie est étrange, semée d'embuches. Au détour d'un solo on découvre son art.

26/08/2010

225. mon monde idéal c'est toi


Dans les premières années les routes étaient peuplées de fugitifs disparaissant sous leurs habits. Portant des masques et des lunettes de plongée, en guenilles, assis au bord de la route comme des aéronautes en détresse. Leurs brouettes encombrées de tout un bric-à-brac. Remorquant des charrettes ou des caddies. Leurs yeux luisant dans leurs crânes. Coquilles sans foi de créatures marchant en titubant sur les levées le long des marais tels des vagabonds sur une terre en délire. La fragilité de tout enfin révélée. D’anciennes et troublantes questions se dissolvant dans le néant et dans la nuit. L’ultime expression d’une chose emporte avec elle la catégorie. Éteint la lumière et disparaît. Regarde autour de toi. C’est long jamais. Mais le petit savait ce qu’il savait.
Que jamais c’est à peine un instant.


Cormac McCarthy, the road

226. petit salaud petit pervers où as-tu mis les doigts? d'où viennent ces odeurs étrangères? sûrement pas de moi...


Vous êtes drôles dans vos costumes vous les ministres des clowns. Vous venez dans une boulangerie bon marché, prenez les tartes les moins chers pour régaler les secrétaires qui vous aideront à tromper l'ennui de vos femmes. Ce n'est pas l'argent qui vous étouffe, une poignée d'euros c'est quoi quand on en brasse des millions par jour? Vous irez arroser de sperme Marie-Clarence plus tard, tout de suite, dans l'immédiat, c'est quitter la boulangerie en faisant des blagues vaseuses à votre collègue sur les cuisses d'Hortense, peut-être lui échangerez vous contre Marie-Clarence pendant l'acte, si le coeur vous en dit. Vous vous croyez beau et drôle, votre portefeuille vous donne le plein pouvoir, votre emploi fait de vous un Seigneur dirigeants quelques centaines de têtes pauvres. Vous retournez fièrement, du vent dans les cheveux, à votre Citroën Picasso que vous avez juste choisi à l'époque en raison du nom, expliquant votre passion pour un peintre que vous ne connaissez qu'à peine. Citez-moi donc les tableaux de sa période du cirque, vous verrez...

Vous êtes mal garé, vous vous en foutez, vous repartez en vous moquant pleinement. Charles à vos côtés repasse ce morceau en boucle d'un pur moment musical, parce que vous êtes mélomane à vos heures perdues, vous vous confiez au son de la musique, de la VRAIE musique - comme s'il y'en avait une fausse - c'est à dire que ce morceau est la sonate de minuit, où Moonlight Sonata aimez-vous dire depuis que vous avez vu ça sur Youtube. C'est beau. C'est grand. Pourtant, dans le silence inquiétant de la voiture, bien que le piano est poussé à son volume le plus sonore, vous vous confiez, comme j'ai dit plus haut.

"Charles..? Je vais me pendre ce soir dans ma douche."

Charles en rigole, il éclate d'un rictus misérable car il pense que vous blaguez une nouvelle fois. Et comme vos blagues ne sont jamais drôles et qu'il fait semblant de rire à chacune d'elles, vous devenez encore plus méprisables à ce moment-là. Et même la coke que vous vous enfilez dans le nez tous les soirs avant de dormir sur la cuvette des toilettes ne vous fait plus rien du tout. Ce soir vous allez vous pendre. Mais pour l'instant vous vous dirigez vers votre ultime orgie, Marie-Clarence prendra cher, vous profitez de cet instant glorifiant musicalement parlant, vous vous rassurez. Oui, vous êtes misérable, une merde absolue, mais à l'intérieur vous êtes un dieu.

24/08/2010

228. rumeurs sensibles, petits matins que toi seule peut comprendre


Il y a dans l'air que l'on respire comme une odeur, comme un malaise.
Les rats s'apprêtent à s'enfuir du radeau, délaissant les cadavres.
Les disparus disparaissent encore plus.
Les destructions sont magnifiques.
Un demi-tour un peu plus loin, et cherche la date, cherche.
C'est comment qu'on freine??

229. merci j'ai bien joui


Le silence de la mer, cette impression de recomposition n'était qu'un placebo, il lui fallait le champ de la guerre, mourir dans de la boue. L'animal en lui avait gagné, mais c'était quoi? un chat? un chien? un loup pittoresque?

Il avait une épée au flan. Un couteau dans la bouche. Un pistolet dans la main.

On pouvait lui dire que la vie, ce sont des notes de musique, de l'encre sur du papier, le sein lourd d'une femme, le plaisir simple d'une peinture, mais rien n'y faisait, l'amour c'était son combat, des corps emmêlés c'était la lutte, la pénétration c'était le meurtre par la lame.

Puis un jour il tua un ange, au champs d'honneur. Alors qu'a-t-il fait ce grand dadais? Je vous le donne en mille! il a simplement déposé le corps inerte sur le côté, puis il a continué à marcher tout droit, prenant d'assaut ce qui était imprenable: les portes du destin.

23/08/2010

230. quand la boucle est bouclée


Devant moi, à l'heure actuelle où je t'écris se trouve devant moi dans ce café où j'ai l'habitude de te parler depuis trois ans déjà deux filles qui viennent d'arriver. Elles ont commandées un broche et un panini, elles dévorent tout ça sur une table prévue pour huit personnes minimum devant des canettes de Sprite et Ice Tea. Je les dévore des yeux, sans aucun à-priori sexuel là-dedans. Je les trouve belles, elles sont jeunes, pleines de vitalité. J'aime la manière qu'elles ont de parler, leur moindre geste, les petites imperfections désagréables qu'elles ont à chaque instant, ces gamines-là me plaisent bien plus que toi. J'aime passer du temps en leur compagnie sans en être, le fait d'être un fantôme quasi-inexistant. L'une est avec son portable, elle joue, elle vit. Son corps protéiforme semble en phase avec ses vêtements, son pantalon noir moulant semblant trouer le monde à l'emplacement de ses jambes, ses ballerines dignes d'une chanson, ce haut gris. Deux boucles d'oreilles perlent le long de ses joues, carrées, losanges suivant ton point de vue, tu sais, ce genre de truc trop gros que tu n'aimes pas. Trop féminin me diras-tu et pourtant j'aime ce "trop" assumé. Elle a un semblant de chignon, cheveux revenus sur le haut de son crâne, un peu à l'arrière, la volonté de ne pas se cacher du regard des autres.

L'autre semble l'opposée, emprisonnée dans un jean qui accentue sa maigreur, des sandales plates sans pesanteur, une veste pour se grossir un peu sur le haut noir qui veut tout cacher. Vieille coupe des années 19.. et sourire un peu gêné, comme si faire partir du monde de nos jours était devenu totalement obsolète à l'heure des paradis artificiels. Même le brillant de sa capuche ne veut pas la faire rentrer dans notre univers. Pourtant il y a une complémentarité dans ces deux êtres qui parlent d'hommes, de musique décalée, d'une autre génération, de ce tout qui l'a compose. Elles mangent, elles parlent, elle s'en vont.
Je crois qu'à force de croiser leur regard, sans prononcer un mot, rien, pas même un bonjour, j'ai fini par m'imaginer un Autre merveilleux. Alors je me suis fait des films, caressant ses deux poupées chimériques, me lovant entre leurs alcôves, désirant les foudroyer de ma force, de mon amour, de mes envies de raconter les aventures célestes.

Mais je ne le fais pas plus pour autant, ce n'est même pas question de courage. Un vieil homme marche sur le gravier sur le côté. La télé tourne, un peu trop forte. Un barbu sur un ordinateur, passionné par ce qu'il regarde. Un noir à mes côtés vient de se lever pour aller payer son plateau-repas. A ma droite un homme avale son café, sur les tables hautes à l'arrière plusieurs personnes encore, occupées à manger/parler des papillons où je ne sais quoi encore. Quelqu'un paye à la caisse, sourire forcé de celui qui encaisse. Le temps suspend son envol, un corps de dragon se déploie dans le ciel, le temps disparait, rongé par ses dents, les deux brunes aux yeux noirs viennent de partir. Silence. Puis tout recommence à nouveau, un jour sans fin.

20/08/2010

231. seul le visage de l'autre compte


Le regard du peintre tombe sur le visage comme une main brutale essayant de se saisir de son essence, de ce diamant enfoui dans les profondeurs. Bien sûr, nous ne sommes pas certains que les profondeurs abritent vraiment quelque chose - mais quoi que ce puisse être, nous connaissons tous en nous ce geste brusque, ce mouvement de la main qui violente le visage de l’autre dans l’espoir de trouver, en lui et derrière lui, quelque chose qui s’y cache.
Milan Kundera

232. vie et mort de l'inconnu


c'est vrai que j'étais là le premier jour car il avait crié. Tous semblaient entendre son cri de désespoir d'être sorti si tôt du ventre de sa mère. Et moi je rougissais, je tenais ce petit morceau encore rempli de sang qui déjà s'agitait. Et son petit coeur battait, mais pas comme les autres. J'ai ressenti beaucoup de coeur d'enfants par la suite pour pouvoir affirmer cela. Il cultivait aussi la différence avec un regard sorti du fond des âges, un regard qu'on avait oublié, mais tous, on le connaissait se regard.
Enfant il n'était pas du même bois que les autres, passaient de longues heures allongés sous un arbre qui mourrait, à l'ombre des chats, des jeux, des autres enfants. Il jouait en silence quand il le faisait puis scrutait les nuages longuement. On aurait dit que seul le sens du vent l'importait, comment la terre tournait, de quoi étaient faites les rivières, ce genre de truc.
Il poursuivit sa scolarité ainsi, distant des autres mais pas de l'amour, distant des amis mais pas de la poésie. Il semblait souffrir avec ce regard mélancolique, et tout se jouait là-dedans, dans cette petite caboche qui emmagasinait les émotions comme les informations sur tout.
De quoi était fait la terre.
Comment on construisait des ordinateurs.
Par où s'en allait le vent.
Son premier amour était sombrement gothique, on raconte qu'un soir ils voulurent se suicider. La gamine seule resta sur le carreau. Lui il laissa tout un côté de paralyser avec son âme envolée pour toujours. Mais ô combien de fois l'avais-je vu apprécier encore plus la vie par la suite?
Il l'aimait cette fichue vie qui ne lui offrait que la misère et la mort!
Il avait tant ri de ses propres mésaventures, toutes les fois où il me les racontait avec ses mots à lui pleins de détachement. à côté de ça une guerre n'était pas bien grave, une amputation ressemblait à un pansement à vie, la mort n'était plus qu'un jeu...
Mais pourtant un matin il n'était plus là. Il était parti cueillir quelques pommes. Sur le chemin du retour l'autre l'avait détroussé, vulgaire bandit d'opérette. Se laissant faire, il avait ouvert les bras, acceuillant la mort au champ d'honneur. Il était tombé d'un coup dans un champ de fleurs. Le blé bruissait doucement quand je l'ai retrouvé, un sourire dessiné à vie sur son visage, ses yeux examinants encore scrupuleusement le ciel. Je l'ai serré contre moi, ce pauvre enfant, je n'ai pas pleuré. Je l'ai ramené plus encore dans ma chaleur, pensant qu'une magie pouvait toujours s'opérer, mais rien ne se passait. Alors je l'ai porté, je l'ai ramené chez lui. Les jours qui ont suivi furent ceux de la couleur de la mort. Une fois la dernière bouchée de terre avalée, on reprit nos vies, tous. Même ceux qui l'avaient connu. Mais jamais il ne disparut des mémoires, aussi, madame, quand vous me demandez si j'ai déjà connu un ange, je vous réponds que oui. J'en ai déjà connu un, un vrai, et il est mort depuis...

19/08/2010

233. il aime bien qu'on en sache plus sur lui


Mon seigneur des mouches est un vieil homme au corps grossi qui attend au fond des bars sa paye de grand parrain de la drogue. Sauf qu'il n'est le parrain de rien du tout et qu'il n'a aucun pouvoir, même pas sur les mouches qui se rient de lui. Elles encerclent son corps, se posent sur lui, jouent sur ses muscles gras qui ne bougent plus du tout. Certaines viennent se poser jusque sur son nez, qui bouge de droite à gauche en attendant que la précieuse ennuyeuse finissent par tomber, ou s'envoler. Son demi en face de lui se réchauffe doucement à la chaleur ambiante, de temps en temps, mon seigneur des mouches balance la tête de droite à gauche comme il secoue son nez, doucement, il faut être prudent avec ces choses-là. Mouche qui pique à mouche qui danse se regarde, mouche qui fait sa toilette donne l'ordre aux autres de ne pas bouger, leurs vies ne craignent rien pour le moment. La plus fûtée attends que l'heure vienne, quand les muscles se remettront en marche pour se lever prudemment, sortir de ce bar miteux, pourri jusqu'à la moelle et qui sent la sueur des rescapés du comptoir. Alors il sortira décuver pendant un temps, fumera peut-être une clope sur le chemin du retour. Puis il s'installera au-devant d'un écran sombre qui diffuse des images ringardes pendant que la daronne fera à manger. Il s'abreuvera du mieux qu'il peut de ces bonnes odeurs, nostalgiquement c'était mieux avant. Il grattera ses petites boules blanches qui luisent sur sa peau, elles tomberont au sol pour mieux éclore d'ici peu: les nouvelles mouches qui feront à nouveau de lui mon seigneur des mouches en permanence.

17/08/2010

234. la route


Quand il fit assez clair pour se servir des jumelles il inspecta la vallée au-dessous. Les contours de toute chose s’estompant dans la pénombre. La cendre molle tournoyant au-dessus du macadam en tourbillons incontrôlés. Il examinait attentivement ce qu’il pouvait voir. Les tronçons de route là-bas entre les arbres morts. Cherchant n’importe quoi qui eût une couleur. N’importe quel mouvement. N’importe quelle trace de fumée s’élevant d’un feu. Il abaissa les jumelles et ôta le masque de coton qu’il portait sur son visage et s’essuya le nez du revers du poignet et reprit son inspection. Puis il resta simplement assis avec les jumelles à regarder le jour gris cendre se figer sur les terres alentour. Il ne savait qu’une chose, que l’enfant était son garant. Il dit: S’il n’est pas la parole de Dieu, Dieu n’a jamais parlé.

235. c'est peut-être ça la vie au rythme roulant des tapis


Si tu savais comme j'ai envie d'un peu de silence.
Bien loin du bruit des tôles froissées. Me perdre à nouveau.
Ailleurs, dans un autre monde bien plus effacé.

16/08/2010

236. des anges dans la boue


Tu en as vu de ces personnages abîmés, déchus de leur trône qui tombaient sans cesse. Ca avait beau bouger dans tous les sens, se relever tant bien que mal, tout n'était que chute. Des ailes dans la boue, passablement déchirées, aux ailes qu'on arrachaient. On a coupé des membres aussi, mais au milieu de tout ça on décelait cette fausse pureté. Une trace immaculée qu'on désignait vaguement humaine, une forme bien définie. Un sourire enfantin voulait nous faire croire. Mensonge calomnieux alors, même dans le noir une ampoule qui éclaire peut être un danger permanent. Tout au fond d'elles, ces personnes cachaient la pourriture de leurs êtres. Juste une fissure pourtant peut suffire à détruire, tu les voyais alors ces être néfastes, ils faisaient tomber les cathédrales séculaires sur la terre ferme, ils abattaient le divin, ils pourrissaient les pauvres âmes. Soudain tu as entendue une voix, dans ton combat intime: elle est tombée...Babylone la grande est tombée!

Et telle fut la fin.

237. Seras-tu ce soir à la croisée des sentiments?


Après la fête, longue retombée dans la réalité, il lui semble glisser lors de sa chute. Une vieille rengaine trotte dans sa tête, un vieux crooner sur le retour, quelque chose comme ça. Le blast c'est cette instant où toutes les sensations se rejoignent, tu as l'impression de t'engouffrer dans ton corps même, mais aussi d'atteindre un Nirvana synthétique. Le blast, un pays cumulé de désirs ouverts, une grande étendue inconcevable. Quel état indescriptible autrement que par le dessin! On peut vivre le blast avec ou sans drogue, tout le monde peut y parvenir.

Après la fête on redescend de ce nuage magique, surpris d'avoir grimpé si haut. Le blast est une chose qu'on désirerait revivre. Cette plénitude abyssale. Mais c'est impossible pour qui désire tout tout de suite, le blast n'est pas une chose qu'on réussit sur commande.
C'est pourquoi il a toujours rêvé d'être un papillon, après la fête c'était un désir encore plus fort. Il a preféré cet état là, alors un matin il est devenu papillon. Et puis c'est tout.

15/08/2010

238. attache-moi


elle est nue dans les bois à crier attache-moi.
Son corps jongle avec les mots les maux
Dans les bras d'un autre elle a crié ses bruits.
Un sexe gonflé, caché sous une tonne de draps...

14/08/2010

239. vertige(s) de l'amour


- Tu m’as séparée de mon père et de mon frère
Tu m’as séparée de ma mère
Ah! Pourquoi t’ai-je aimé?


propos lus dans l'usage du monde, le magnifique livre-berceau-de-la-vie de Nicolas Bouvier.

240. l'art fait vivre la mort


Création de toute chose et définitions multiples pour un concept ridicule. J'aime beaucoup ces instants téléfoot qui ne me correspondent pas. Etre face à une armée de bonhommes n'ayant qu'une passion commune qui n'est pas la mienne. L'autre est un temple à lui tout seul, il demande à ce qu'on le regarde avec son beau ballon, son beau maillot, ses tennis ultra-laides...

En fait je ne vois plus que des personnes navrantes ces temps-ci qui sont à l'image sans doute de ce que je suis: ces espèces de monstres de mon enfance, les crados.

241. j'envisage


Après la fin, bien après la fin. L'autre soirée est finie. Dormi dans ma caisse quelques heures. Pas lavé. Rentrer pour vomir. Partir travailler. Mon balai dans les mains, j'lui dirai qu'j'l'aime demain. Mon crâne en feu me cisaille les vertèbres. Je suis démoli une fois de plus. Pluie sur la ville. Panique. Le moteur vrombit, la journée passe. Lancinante. En attendant l'armée des morts qui se lèvera pour prendre une bière dans le premier moulin du coin, j'en viens à un monde envahi par les grise-mines. La faute au temps peut-être. Fumé une clope et demi sur le pas de la porte. Mauvaise journée, il fait froid, je crois que je couve quelque chose. Tifenn est passé par là, au coude à coude. A présent c'est l'heure d'après, après l'après. Tout gueule, tout boit, tout consomme. Le monde est faux, il pleut toujours. Quelques jours de pluie. Un sandwich avant de dormir, s'effondrer dans un lit, oublier les pauvres heures endormi sur le métal froid d'un coffre. Oublier qu'il n'y a qu'un après à l'après. Se réconforter ainsi: demain le soleil se lèvera.

13/08/2010

242. au-delà de cette limite, etc etc...


Je m’assis dans un bistrot et commandai une décision. J’étais dans un tel état d’irrésolution que lorsque le garçon s’approcha de moi, je lui dis:
- Une décision, s’il vous plaît.
Ce fut seulement lorsque je vis dans son regard l’absence totale d’intérêt des vieux garçons parisiens, où se lit à peine une trace de dédain pour tout ce qui cherche à les étonner encore, que je me repris:
- Une infusion, je veux dire.



Rom
Ain
Ga
Ry

12/08/2010

243. laissez-passer les océans, ça peut devenir utile par la suite


Tu embrasses les vagues, elles te caressent le corps, elles lèchent tes seins, ton sourire se déploie tel le phénix de mes rêves d'antan. Je suis sur le rocher, je te vois. Tu es sublime, si magnifique qu'une écume n'est qu'un reflet pâlement argentée contre l'éclat de tes regards suspicieux. Je suis votre romantique absolu, ce n'est que pour mieux violer vôtre âme mon enfant...
M'entendez-vous? Je suis le serpent qui rampe le long de votre corps, la flamme ardente du désir qui monte, le rouge qui colle à vos joues quand votre regard descend un peu trop bas. Je suis votre démon intime et celui de toutes les femmes réunies, je pourrais vous dire tellement de poème qui sont faux comme autant de vérités.


Vos seins flasques et froids
Tombant de tout leur poids
Ne purent dissimuler
de votre corps son impureté
Une boule de graisse
Voilà ce qu'il laisse
Ce père indigne
Qu'aurait dû vous appeler guigne

Vous êtes moche!


Ah oui, je ne vous ai pas dit. Je suis un homme avant tout.

244. je suis né dans le sang, je repartirai dans le sang


Il avait la force des aiguilles avec lui, ce petit sillon creusé dans le pli du coude qui signifiait beaucoup de choses. Mais de temps en temps son regard s'illuminait, son corps usé par les drogues réveillait son cerveau à nouveau, comme au sortir d'un long somme. Il était dans une soirée sans fin, un trip étrange en pleine hallucination permanente, la vie était un long fixe tranquille. Il était minuit, ou bien cinq heures du matin, tout venait de s'achever. Le vent bruyant dans les arbres rendait un écho à une autre soirée, plus lointaine, plus mystérieuse. Il scrutait avec attention ce petit chemin qui menait au garage. De chaque côté on avait séparé le gazon du gravier par un mur de pierre. Sur ce mur de pierre s'alignaient les cadavres de la soirée, bouteilles vides et mégots éteints. Les gobelets galopaient sur le sol, tournant en rond dans une cadence déstructurée. La théorie du chaos en live. Ca faisait un raffut de tous les diables, ça réveillait d'autres souvenirs encore. Dans son dos, les néons du garage clignotaient, un seul en particulier. Un ordinateur diffusait un semblant de techno, un vieil homme fatigué sur une table pliante fumait son dernier clope. Ses rides contrastait avec ses cernes, il pouvait avoir cent ans sous son chapeau de cow-boy c'était pareil. Il ne parlait plus, sa barbe ne bougeait plus, d'ailleurs avait-il entendu ne serait-ce qu'une fois le son de sa voix au cours de sa vie?

Il aurait bien aimé lui dire qu'il personnifiait la mort, mais il allait mal le prendre.
Comment s'appelait-il déjà? Personne n'en savait rien. Il était là et puis c'est tout. Une évidence.

Jean-Marc avait envie de fuir, il se rappelait cette bonne chose, elle, la nuit dernière. Serrée nue dans ses bras. Tu verras, on partira loin de toute cette merde. On décrochera. Tu verras. Je t'aime. Refile-moi encore un fixe. S'il te plait. S'il te plait...

Il lui avait donné ce qu'elle voulait, elle paraissait morte, quelque part sur la départementale à faire une énième passe de plus. Jean-Marc avait continué ses soirées, le monde reprenait tout doucement, sans saveur au final, car tout était tronqué. Il le disait très bien. Le monde est flou, oui.

09/08/2010

245. elle pleurait face au vent


C’est la saison des enfers, quand je ne sais plus pourquoi ni comment. Le où domine bien peu, je suis perdu entre l’être et le néant sans aucun caillou blanc. J’attends, j’écoute les vibrations de l’extérieur. Le monde est une gigantesque vague mais j’ai peur de rentrer dans l’eau, elle est bien trop froide.
J’écoute l’hippopodame en boucle, ce bon vieux suspens madame…
Mes mots assemblés, alignés. Ça doit être par là.

Lecture d’une lettre. Oui madame, la réponse c’est que ça avance très vite, à grands pas. Même si le monde semble tourner plus vite de votre côté de la planète je ne suis pas pris de haut pour autant. Je me mélange encore, j’ai l’impression de me perdre, mais ne craignez pas.

Ici tout est bleu-opéra. Même le noir semble prendre la couleur Shakespeare bien ancrée dans le cri des mouettes.

Je ne sais plus.

08/08/2010

246. Henry Bauchau, Oedipe sur la route (again)


Œdipe est en mer, en pleine tempête, le vent hurle au-dessus de lui, les vagues frappent à coups sourds les flancs du navire et parfois le submergent. Le plus terrible ce sont les cris, les cris de ceux qui ont peur, qui sont renversés ou emportés par les lames. Ces cris pourtant vous soutiennent car ils signifient que vous êtes là, que vous luttez encore. Le naufrage est sûr, vous êtes déjà tout engourdi par les vagues glacées qui vous assaillent, mais en somme tant qu’on crie, on est vivant.
Le matin, il n’y a plus de bateau, plus de marins, plus rien que son corps étendu, qui crie de plus en plus faiblement au milieu d’une mer démontée. Il éprouve une présence qu’il ne peut ni voir ni toucher et, à cause d’elle, la douleur de son corps s’aggrave. Il voudrait bien, dans cette violence et bientôt dans cet excès, être encore cet Œdipe évanoui qui criait sur un navire en perdition.

06/08/2010

247. j'aimais beaucoup quand elle me faisait la lecture


elle me caressait les cheveux sur le sable, j'avais juste à fermer les yeux et imaginer un monde où Figaro croisant Don Quichotte s'en allaient dans des forêts sombres remplies de peuplades étranges...


et j'ai aimé la littérature à ce moment-là, quand je l'approchais de l'amour qu'on faisait également.

05/08/2010

248. je ne suis plus rien; simplement j'ai fermé les yeux


Nous sommes surpris par la nuit.
On nage comme des poulets sans tête.
La nuit est noire, le fleuve est long.
Trois têtes coupées qui ne veulent plus rien dire.
Un métisse règne dans le coin.
Tu erres, une bouteille à la main.
L'autre prend des notes.
Il gribouille quelque dessin.
Quelques mots qu'on jette sur le papier comme une goutte de sang.
Il cherche l'échec.
Il s'efface, il cherche à créer l'empreinte de l'Histoire.
Etagère sur mesure.
Je ne sais pas.
Je ne sais plus où les mots me mènent.
Je suis paumé.
J'ai pris le mauvais train.
La nuit j'écoute des émissions littéraires.
Je tue des philosophes.
Je compte les papes.
A voix-nue j'adore: "faire l'amour à l'amour-même".
Alain Souchon est un con.
Je suis plus divin que la moitié de ma moité l'était avant moi.
Des corps, des femmes, et des mystiques.
De grandes mystiques que vous représentez.
L'extase c'est une chose de cette ordre.
Rencontrer mes dessins dans la rue.
Donnez-nous des armes.
Une sortie proposée.
C'est carrément urbain ce que je propose.
Je propose toujours des choses.
Mais je suis le seul à.
Miracle magnifique.
Retourner dans la forêt.
J'y reviendrai.

04/08/2010

249. un jour je te parlerai en italien


Il y a cependant un sentiment que tous partagent:
Bog a quitté la ville.

250. lettre d'amour à celle qui me fait vibrer


J'aime ta voiture électrique qui tremble un peu partout, les pièces usées qui veulent dire attention, le moteur tremblant, toutes tes couches de peinture de différentes couleurs.

J'aime la saleté de ton véhicule, l'odeur étrange qui règne à l'intérieur, entre nourriture pourrissante, vieux bouts de clopes usagés, quelques cendres de Chine. Ne pas respirer, inspirer.

J'aime vivre, dormir à l'intérieur, le froid qui peut te prendre là, les courants d'air rafraîchissant quand la clim n'est pas présente, les vitres collées par le froid.

Battue au vent, j'apprécie les nombreuses secousses, les suspensions surprenantes, pouvions-nous faire de tels sauts à l'intérieur d'une si petite automobile??

On en a connu des heures de plaisir, à sauter dans les champs, tourner autour du pot, rompre la solitude en avalant les kilomètres, je t'aimais encore plus les mains sur le volant, les yeux sur la route. Je te voyais chanter, bouger de la tête aux sons des amplis incrustés dans les portes, c'était magique. Les autoroutes à deux-cent quand nous n'atteignions jamais les quatre-vingt-dix en hurlant de rire, les nombreux stop, le céder le passage le plus merdique de l'univers, toi penchée sur le volant pour contempler les directions de l'infini.

- Et maintenant, on va par où?

- Où tu veux...

- Je décide pour ma part d'arrêter.

Je suis sorti de cet espace protégé où rien ne pouvait nous arriver, ce cocon. J'ai pris à gauche, taper du pouce sur bien des routes. Un jour me vint l'idée de quitter les routes, redevenir piéton. J'avais tout revendu, jusqu'à mon coeur, tu n'étais plus qu'un souvenir...
Et puis l'eau coula sous les ponts, je chantais dans les bars, je jouais le rôle du comédien fauché perdu dans la cambrousse. Tu étais au bar, veste en cuir, visage effacé derrière tes cheveux en cascade. Tu sentais le fuel, le plein de y'a dix minutes. Fixant un coca light entre tes doigts, tu ne m'avais pas reconnu. J'avais changé, ma barbe avait poussée, j'avais même perdu du poids il me semble. Je me suis assis auprès de toi, rien n'avait changé. Il me semblait que nos escapades c'était hier, toi aussi. Tu m'as confié tout de go: j'ai toujours la même caisse.
Alors t'as saisie tes clefs et nous avons filés, seuls mais entiers.

251. il a vu l'âme du ver qui dévorait la pomme que l'homme mangeait


errer dans les rues du poison dans les veines, ne plus savoir où est le haut, le bas, le rond dans le carré...