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25/10/2011

74. ne porte pas ton attention sur la fille en rouge



Il y avait les messages, les zig et les zog, ne tentent plus rien mon amour, gardons l'attention sur ce film de trois heures remplis de silence, à baver sur l'épaule de H. pendant que je songeais aux derniers mots de l'autre. N'oublions pas les romans, à lire, ceux que j'ai écris ont fini à la poubelle malencontreusement, un million de mots effacés comme ça. Tes mains dans tes cheveux, tu dansais admirablement bien. Et les physalis dans mes pommes, tu les as vu mes physalis? N'inventons plus la poudre d'escampette ni les faux semblants, il y 'a des routes, il y'a des musées, tout ça pour toi, tout ça pour moi, le sénat, la splendeur, les hémicycles en flammes! Tu ploies sous ton propre poids, c'est charmant, je m'excuse, je déraille, il est de toute première instance que nous nous laissons vivre. Il ya des bordels. On le doit aux premiers. Nul ici n'aura le courage de m'affronter. Nul n'aura le courage d'une courtisane! Et on ne s'aime plus, tu vois, c'est la fin des temps, de notre temps, des pensées qui galopent sur les murs, des mots qui n'ont plus de sens, des petits bouts phrases en rien du tout, des gendarmes qu'on a plastifié noir sur blanc, mais attention... La vie est avant. La vie est après. Ensemençons les réclames, répondons de nos crimes, parjurons-nous dans la boue rien que pour tes beaux yeux. Ma chérie, pour toi je serai oiseau de proie pie moqueuse rhinocéros ou Barbatruc, endimanchons-nous, prenons-nous de haut. Eliminons nos idées reçues, reprenons nos chignoles nos fermes nos cars, méprisons-nous à l'envie des en veux-tu en voilà des bam et des bim et des zang, je viendrai demain matin aux premières heures. Notons que j'écrirais des romans de pages blanches, que je n'y arriverai pas, qu'il me faudra de nouveaux préceptes familiers pour en arriver là. Tuons-nous à la tâche, intentionnellement.

08/10/2011

75. ceinture de sécurité, Raymond Devos



Mesdames et messieurs je ne voudrais pas vous affoler mais des fous il y en a !
Dans la rue on en côtoie ...
Récemment, je rencontre un monsieur.
Il portait sa voiture en bandoulière !
Il me dit
"Vous ne savez pas comment on détache cette ceinture?"
Je lui dis :
"Dites-moi ! Lorsque que vous l'avez bouclée, est-ce que vous avez entendu un petit déclic? "
Il me dit :
"Oui, dans ma tête ! "
Je me dis : "Ce type, il est fou à lier ! "
J'ai eu envie de le ceinturer ...
mais quand j'ai vu que sa ceinture était noire ...
je l'ai bouclée !!!

76. ending


C’est à 19h40 un soir de décembre que l’événement du siècle est survenu. Je me trouvais dans ma salle de bain entrain de me nettoyer. J’ai entendu un léger clic, toutes les lumières de la maison ont vacillées. J’ai immédiatement pensé à ma femme en imaginant le pire scénario imaginable. Se pouvait-elle qu’elle soit tombée sous les roues d’un camion? J’ai pris mon téléphone portable dans le noir, j’ai attendu un peu qu’un nouveau clignotement s’offre à moi pour paniquer. Pour toute réponse, la maison qui se voulait silencieuse me répondit par le vrombissement de la machine à laver le linge dans le cellier ainsi que celle lavant la vaisselle dans la cuisine. Le ronronnement régulier de mon ordinateur s’est fait entendre aussi, d’une manière surnaturelle. D’habitude je ne l’entendais pas. Le portable en main, les mains trempées, j’ai songé que je pourrais électrocuté l’appareil ainsi, repensant alors aux mises en garde qu’on nous enseigne depuis l’enfance. J’ai reposé le portable sur la commode à ma gauche et j’ai attendu une nouvelle secousse. J’étais habitué aux coupures de courant, aussi, j’étais né en montagne. Dans mon enfance il était fréquent de passer quelques temps, voir une journée entière au maximum, coupé de l’électricité. Aussi, je n’ai pas eu peur, ma crainte était tournée vers mon épouse, je me suis souvenu qu’aujourd’hui elle prenait l’avion à 19h. Il serait encore temps pour moi de l’avoir au téléphone, ai-je songé, les ondes du téléphone doivent bien aller dans les airs même si elles sont dépourvues d’ailes. À cet instant précis, la lumière vacilla de nouveau, j’étais toujours dans mon bain, la dernière vision que j’ai eu fut celle de mes jambes dans l’eau, des volutes de fumée s’échappant de l’eau chaude, de la lumière rassurante qui jaunissait les carreaux de faïence avec un style à l’ancienne. Cette fois-ci l’appartement se plongea dans le noir intégralement. Ma salle de bain ne disposant d’aucune fenêtre, j’ai cherché dans le noir du bout du bras ma serviette au cas où je devais sortir. Les machines furent coupées net, dans la cage d’escalier j’entendais une sorte d’agitation de voisinage auquel je ne prêta aucune attention. Ça dévalait les escaliers à toute hâte, ça hurlait, un enfant gémissait. Les pas pressés se perdirent vite en dehors des escaliers puis en-dehors du bâtiment, bien loin de mes capacités auditives. Je me suis rassuré en me rallongeant dans le bain, en grand crétin que j’étais je me suis dit que ça allait sûrement se remettre, et puis après tout il ne me restait plus qu’une barre de batterie sur le téléphone, pas la peine de l’user en criant au loup. Ma femme devait sûrement siffler une coupe de champagne en compagnie de son employeur pour fêter le nouveau contrat qu’ils venaient de signer pour dieu seul sait où. Les minutes s’écoulèrent, je risquais ma batterie en regardant l’heure, il était 19h52. J’étais un accro à l’heure, je tenais ça de mon père qui avait fait le chauffeur de taxi toute sa vie durant avant de mourir d’une pneumonie lors de sa première semaine de retraite. J’ai toujours pensé que le virus s’était transmis à son enterrement lorsque ma mère me remit la montre paternelle, mais depuis peu j’ai aperçu de vieille photo où je me revois enfant jouant à regarder l’heure. Souriant à mes rêveries, je suis sorti de mon bain. Dans le noir complet j’ai attrapé une serviette que j’ai enroulé autour de ma taille. J’ai pris mon téléphone, en constatant qu’en plus de toutes les pièces de la maison plongées dans le noir, le quartier semblait s’agiter aussi dans le même état. Mon cœur fit un bond, je suis parti à la recherche d’une bougie posée sur ma table de chevet qu’Hélène, c’est-à-dire ma femme, m’avait offert lors d’un anniversaire. Je l’ai allumé puis je suis parti à la recherche d’autres bougies. Le bâtiment était anormalement calme. La lumière surnaturelle de mon ordinateur luisait au salon d’une manière spectrale. Je suis allé jusque dans ma cuisine, de là je me suis penché sur le balcon, j’étais toujours en serviette de bain et de ce point de vue je voyais le quartier plongé dans le noir mais la ville était encore allumée. Calmement je suis parti en chasse d’éventuelles bougies et sources lumineuses, j’ai ramené le tout au centre de la maison, dans le couloir, j’ai posé ça à même le sol, et cette fois j’ai écouté sans pudeur d’autres voisins que je peinais à identifier. Parmi eux un bébé pleurait, un homme d’un certain âge hurlait plus fort encore d’éviter le centre-ville, que c’était la débandade. La voix d’un jeune homme émit un d’accord diablement auditif, j’entendis démarrer puis les voitures s’éloigner au plus bas dans la cour. Craignant de passer pour un fou, je n’osais pas m’aventurer à nouveau sur le balcon pour demander le pourquoi du comment vêtu seulement d’une serviette de bain. Je suis allé m’habiller, mais dans l’appartement, j’ai constaté qu’il régnait une ambiance inhabituelle. Quelque chose grondait dans un coin, un ronflement régulier comme un train revenu au pas de charge. J’ai pointé un briquet dans la direction, Méphisto, mon chat, me dévisagea calmement en continuant de ronronner. Je ne m’étais jamais rendu compte à ce jour qu’un animal si petit pouvait faire autant de bruit. Un déclic nouveau se fit entendre, plusieurs bip sonores sonnèrent dans la maison pour signaler l’électricité revenue par deux fois. Les lumières clignotèrent donc deux fois. Je me suis débarrassé de ma serviette, craignant d’être vu j’ai traversé l’appartement au pas de course. Je me suis senti ridicule au retour dans ma chambre en réalisant que plongé dans l’ombre personne ne pouvait me voir à moins d’être muni de très bons yeux. En face de moi, le bâtiment de l’école municipale était dans le noir également, je ne réalise à présent que maintenant que même les bornes d’urgence ne clignotaient pas.
J’ai donc enfilé des vêtements de tous les jours, un boxer, un jean, un t-shirt, une paire de chaussettes, un sweat, et calmement j’ai enfilé mes chaussures. J’ai noué les lacets, je me suis relevé de l’endroit où j’avais pris place et je suis descendu faire mon curieux, craignant de n’être pas le seul, mais on ne sait jamais, de l’aide peut parfois être la bienvenue. Je me suis dirigé à tâtons dans la cage d’escalier, j’ai failli trébucher plusieurs fois en enviant les aveugles qui eux sauraient faire face à ce genre de situation. Arrivé en bas de l’escalier, au rez-de-chaussée, j’ai soufflé un peu. J’ai aperçu une lueur rougeoyante à mes yeux, un petit point se baladant dans le noir, et l’épaisse odeur de fumée d’une cigarette. J’ai toussé un peu, il s’agissait de Madie, l’habitante du troisième, elle était un peu naïve, ne parlait pas beaucoup si ce n’est pour râler. Ce personnage étrange était la bête noire de l’immeuble. Je dois dire pour ma part que, bien que ne lui ayant jamais parlé, j’avais par concupiscence pris le parti des autres.
- Vous n’êtes pas parti avec les autres? M’a-t-elle demandé.
J’ai signé de la tête que non, mais pouvait-elle seulement percevoir ma réponse? Je me suis empressé d’atteindre la porte de sortie que quelqu’un avait dû briser par manque de temps vu qu’il s’agissait là d’une ouverture électrique. J’ai souhaité à Madie la bonne soirée et je suis sorti. Dehors le froid me cinglait le visage, je n’avais pas pris de veste. J’ai remonté le col du mieux que je pouvais et, les poings au fond des poches je me suis hâté d’atteindre le cabanon du réseau électrique de tout le bloc. Un type que je ne connaissais pas fourrait déjà son nez dans tous les câbles, j’ai pris peur en le voyant qu’un détraqué s’amuse à couper les câbles pour emmerder son monde en plein hiver. Habitant non loin d’un hôpital psychiatrique des cas de ce genre étaient fréquents. Marguerite, la voisine d’en-face, en avait fait les frais un matin avec un fou qui lui avait repeint sa pelouse en rose et uriné sous sa véranda pour finir par déféquer sur son paillasson. Mais le brave type était bien électricien. Il se prenait la tête entre des montagnes de schémas qui ne voulaient rien dire et Fred qui était en outre le gardien de l’immeuble qui, caché dans un coin, lui tenait la lampe de poche à niveau afin qu’ils puissent tous deux lire dans le noir. J’ai demandé s’ils avaient besoin d’aide. Tous deux me firent des yeux ronds. Fred fut le premier à me dire que non, et l’électricien me remercia. Ils semblaient médusés, sans doute leur avais-je fait peur. Une voiture dehors dans la rue déboula à toute vitesse, d’un coup nous entendîmes tous les trois la détonation du véhicule qui rentra dans un lampadaire. Le jeune homme sorti de sa voiture, j’accourus pour lui venir en aide, il était sonné. Le vent redoubla d’intensité, le goudron s’était transformé en une véritable patinoire, et tant bien que mal nous revînmes à l’entrée de mon bâtiment en oubliant le véhicule dont les feux étaient la seule source lumineuse du quartier. La lumière revint à ma montre à 20h31. J’ai été d’abord surpris par le carrelage, il avait gelé. Ce genre de choses n’arrivait jamais. J’ai installé le chauffeur assis en-dessous des boîtes aux lettres derrière la porte, c’était le seul endroit près du chauffage. Il se tenait le bras, il était secoué. Il écarquillait les yeux de temps en temps en se demandant où diable il se trouvait, ou alors était-ce maladif chez lui. Madie n’était plus là, mais l’odeur de sa cigarette envahissait encore l’atmosphère. Une congère s’était formée contre la deuxième porte d’entrée, elle paraissait plus épaisse encore que ce que je pourrais imaginer dans pareil cas. Une autre voiture glissa pour venir s’encastrer dans l’autre. Nous entendîmes tous deux, le chauffeur et moi, le choc de la tôle contre la tôle. Le chauffeur leva les yeux au ciel, jusque là nous n’avions pas parlés tous les deux: « oh putain » lâcha-t-il. Cette route est maudite, ajouta-t-il. Il se releva d’un bond. Je lui ai conseillé qu’il aurait mieux fallu qu’il reste au chaud. Le jeune homme se moqua de moi.
- Touchez-le donc, votre radiateur. Il est gelé!
Et en effet, il était gelé. Le vent dehors redoubla d’intensité. Nous sortîmes tous deux, mais il me semblait qu’il faisait plus froid encore qu’avant. Je grelottais. L’autre voiture, la deuxième, était conduite par une jeune femme et sa fille en bas-âge. Nous dépêchâmes de la sortir de là, mais pour se faire on dû pousser l’autre voiture au maximum de ce qu’on pouvait sur le côté, une portière ayant taper contre, elle était impossible d’ouvrir. La chance revenait à ce que l’autre, se trouvant côté conducteur et contre la première voiture accidentée, ne fut pas endommagée. Tant bien que mal, les deux femmes sortirent de la voiture. On regagna tous ensemble le bâtiment. Le vent cinglant mon visage, j’avais l’impression que des lames de rasoirs me striaient les joues quand à mes mains je ne les sentais plus. Je me suis présenté, John, les autres en firent de même. Le jeune homme s’appelait Sayid et la femme s’appelait Claire. La petite s’appelait Eva. Fred vint se réchauffer dans le hall d’entrée lorsque la lumière coupa à nouveau. Il avait les cheveux gelés.
- les câbles ont tous gelés. C’est impossible de remettre l’électricité en route. Je suis navré, j’ai fait du mieux que je pouvais, Simon aussi.
J’ai passé une main sur son épaule qui se voulait rassurante:
- ne t’inquiètes pas, tu a fait de ton mieux. Ai-je tenté d’avancer.
Mais ses yeux se détachèrent de moi, il lâcha mon bras pour aller se présenter aux autres. Je proposais à tous de monter chez moi pour se réchauffer, l’épaule de Sayid semblait aller mieux et nous étions gelés à attendre contre la porte. Ils me suivirent donc, Fred me prêtant sa lampe de poche pour ouvrir le passage. Arrivé à la maison, j’installais mes hôtes au salon et regagnais les autres pièces pour rassembler quelques bougies devant eux. Fred m’aida à aller chercher de quoi boire dans la cuisine, ce fût lui qui vit le premier la chose. Il avait la bouche bée, il me montra du doigt la ville que l’on voyait à travers les fenêtre, mais je n’avais pas besoin de la voir pour comprendre à l’obscurité grandissante ce qui se passait. Et lentement, quartier après quartier, la ville sombra dans le noir.

77. en annexe



La vieille Europe se meurt. Les bombes éclatent de partout, la guerre, le sang, les cadavres amoncelés dans les rues sur l’autel de la mort et de la destruction ont eu raison de plusieurs milliers d’années. La terre se meurt, dans les tranchées on s’apprête à fêter Noël au sein des vallées profondes ou plates qui peuvent encore se le permettre: ce sont-là les dignitaires de la destruction qui se croient encore en force. Ils ont un aigle doré pour les protéger, un petit homme semblable au diable pour certain, un sauveur pour d’autre, qui s’énerve à la moindre bourrasque. Le champagne coule à flots, les jolies filles vont du côté des vainqueurs, et vainqueurs ce soir ils le sont. Sur la carte du monde, une croix tordue étend ses bras de fer partout sur le continent européen, un peu plus ailleurs, à petits pas, on chuchote que la Russie demeurera rebelle encore cette année, le grand Napoléon n’a pas pu, le petit diable ne passera pas non plus. Pas grave, ce sera pour plus tard, quand la bombe atomique sera là, un savant n’est pas loin d’en trouver la formule.
Après la première guerre en est venue d’autres, nous étions européens, les soldats se battaient pour le peuple, dans les tranchées le sang coulait des deux camps mais jamais ne gagna autant les villes par la suite quand on remit le couvert. À la grande table des nations on pleurait aussi la guerre en Espagne, les défigurés de la guerre que les bombes n’avaient pas épargnés, la Chine ou encore la Pologne. Dans les rues un petit homme prenait la parole, montée en puissance du mal dans toute sa splendeur malgré un putsch raté et quelques années de prison. Le petit homme devenu chandelier inonda l’Allemagne de son Mein Kampf afin de se mettre le peuple dans la poche. C’est qu’après la guerre on mourait encore de faim, les hommes n’étaient plus des hommes, on reconstruisait trop lentement des pays en ruine. Entre deux guerres, les pays se méfient les uns des autres, on pense militaire, on envisage d’autres territoires pour assurer un avenir digne de ce nom. Le monde se transforme en poudrière prête à exploser, sur son grand tremplin royal, Adolf Hitler, ce petit homme, va enflammer le monde.
L’Italie et le Japon se rejoignent à l’Allemagne nazie, les drapeaux rouges à la svatsvika fleurissent bon marché, un aigle déploie ses ailes sur le vieux monde. Viendront ensuite la Hongrie, la Roumanie, la Yougoslavie et la Bulgarie de se lier à l’Allemagne. La Pologne prend les armes, se défend du mieux qu’elle peut puis perd. C’est l’entrée en guerre de la France et de la Grande-Bretagne. Suivront colonies et dominions à leurs côtés.

En 1940 l’Allemagne envahit le Danemark et la Norvège. La France aussi se retrouve occupée. Les îles britanniques deviennent alors le point d’hébergement des gouvernements tombés restés invaincus. En 1941 l’attaque sur Pearl Harbor par le Japon fait entrer les Etats-Unis dans la course en tant qu’ennemis du Japon et donc des forces de l’Axe. La République de Chine se range alors du côté des alliés ainsi que de nombreux pays d’Amérique Latine puis l’empire colonial français.

L’Italie se retourne contre l’Allemagne en 1943, Hitler envahit la péninsule occupée jusqu’à Naples.
La Hongrie tentera de se rebeller, sans succès, elle sera occupée par les forces nazies en 1944. Cette même année la Roumanie occupée par l’Armée Rouge rompt l’alliance avec l’Allemagne. La Bulgarie change aussi de camp ainsi que la Finlande.

L’URSS dans tout ça n’a pas su sur quel pied danser. Lorsque le pays attaque la Pologne en 1939, l’URSS semble dans le même camp que l’Allemagne. Même chose quand l’armée attaque la Finlande cette même année. Staline fournira pétrole, matières premières et communistes allemands réfugiés en URSS. C’est en 1941 que Staline changera son fusil d’épaule lorsque l’Allemagne tentera d’envahir la Russie sans succès. Le coût de ce retournement sera sans précédent, c’est l’Armée Rouge qui réglera son sort au deux tiers de la Wehrmacht en mettant hors de combat 85% des soldats.

Peu à peu, les alliés marchent sur Berlin.

Si la première guerre mondiale est restée militaire, la seconde sera celle des peuples entiers jouant le rôle d’acteurs avec les réseaux de Résistance entre autres tels que nous les connaissons de nos jours. N’oublions pas aussi les pirates Edelweiss, résistants allemands qui l’ont payé de leur vie.

78. lapins roses électriques




Léo râla une fois de plus en tirant sur son vieux clope usé jusqu’à la moelle. Il pleuvait sur la ville imaginaire, la brume avait effacé les montagnes, le brouillard faisait partir la mer qui trouvait refuge dans son ultime rouleau. Ne restait plus que quelques rues, un lampadaire à l’ancienne, un homme usé d’une trentaine d’années dont le pardessus n’avait plus rien d’imperméable. Ses longs cheveux bruns entortillés s’égouttaient sur cette même roulée, dans l’autre main Léo tenait encore son verre, un godet d’un mélange indéfinissable. Était-ce au moins de l’alcool? Ce soir, Léo avait la mélancolie facile dans un monde sur le déclin, il se voulait nostalgique sans se l’avouer pour autant comme tel.
On nous avait fait grandir dans un monde déjà tourné vers le passé, au lendemain de la seconde guerre mondiale il avait fallu reconstruire à grands coups de Beatles, de bon vieux rock, de tout un tas d’auteurs refaisant surface d’un lointain ailleurs. Les jeunes filaient à toute allure dans des bolides semblables à des étoiles filantes, ils hurlaient tous « nous deviendront rock star! » en allant se tuer dans le premier virage, le nez dans une coke démentielle, la bouche noyée de mauvaise bière.
Soudainement il n’y avait plus d’avenir, la clope éternelle de Lucky Luke était devenue un poison, l’alcool bouffait l’estomac de l’intérieur, la bouffe n’était plus une bonne chose, les drogues tuaient. Ajouté à cela, le fond de l’air était cancérigène, les usines tuaient les ouvriers, les voitures polluaient, le sexe menait à la mort, les pluies furent d’acide, l’apocalypse, on l’avait passé depuis longtemps, maintenant il nous fallait vivre dans un monde d’après-guerre, d’après la troisième guerre, celle qui n’avait jamais eu lieu.
Hank Moody est la pierre tombale de ce temps qu’on a tué.

79. Mathilde



Mathilde ne supporte plus cette petite musique de mort qui monte du fond de la salle pour se frayer un chemin entre les invités afin de résonner dans ses oreilles. Parfois elle crée un larsen, car le son est trop fort, ou alors il s’agit tout simplement de mauvaises notes, ou pire encore, elle devient allergique aux morceaux de rock qui remonte bien avant les années soixante. La voici, triste figure pathétique, dans une situation complexe, elle est seule dans une grande fête remplie d’inconnus et Jean n’est plus là. Le monde qu’elle côtoie n’est pas le sien, elle ne connaît pas ses visages, encore moins les serveurs à l’allure de m’as-tu-vu qui semblent partout à la fois. Les ordres émanent d’un grand chef invisible, chaque fourmi de ce terrier savent ce qu’ils ont à faire. En un sens c’est parfait. Réglé jusqu’au détail insignifiant, par exemple, l’un de ses affreux pingouins repose avec précaution une fourchette sur la table au millimètre près. Un autre encore repasse au vinaigre blanc une pièce en métal dont elle ne connaît pas l’usage. Les invités vaquent consciencieusement dans ce petit palace aux dimensions exorbitantes, certains s’arrêtent devant quelques peintures ornant les murs. Toutes représentent la mer, il n’y en a qu’une, cachée dans un endroit secret, tel un Dorian Gray, le grand maître le cache des yeux de son public, car personne ne peut le comprendre. C’est une grande dalle noire, un noir brillant. Il y a juste une trace rouge sombre sur la partie supérieure. Mathilde n’en sait pas plus.
Tout semble faux dans cette grande réception digne de la splendeur des Amberson. Le quatuor qui s’agite dans la salle de concerto est bien trop classique, une bibliothèque quelque part avec les plus grands romans français et anglais dans des vieilles éditions (jamais ouverts, jamais lus), la peinture comme une part de soi, le mobilier digne d’un décor à la Marie-Antoinette, des servants d’une époque révolue, des invités de la haute-société, déconnectés de la réalité, l’œil jugeant la soirée dans les moindres faits. Ils semblent tous déconnectés de la réalité, ces hommes, pense-t-elle, ne connaissent plus rien à la rue. À présent elle s’appuie contre un pan de mur incrusté de dorures, elle ne touche plus à rien, elle a peur de se contaminer. Ses cheveux légèrement bouclés jurent avec les permanentes de ces dames-là, un éclair roux passe dans ses cheveux châtains, ses bras nus sont croisés au niveau de sa poitrine qu’elle juge trop petite, ses yeux bleus fixent un point invisible à deux mètres au moins devant elle, elle impressionne beaucoup jusqu’à son allure, cette longue robe tout plissée qu’on lui a cousue, ces quelques paillettes jetées de ci de là, ce naturel qu’elle a dans la beauté, et quand on s’approche d’elle et qu’on lui demande en anglais d’où elle tire une si époustouflante beauté naturelle, elle répond: « sorry, i’m french, i don’t understand. » bien qu’elle comprenne très bien. La mélancolie remplace ce si joli sourire, elle a retiré ce soulier de cuir contraignant pour tracer du pied un quart de cercle imaginaire à même le parquet lustré, c’est la limite pour les autres qui semble prévenir: n’envahissez pas mon monde. Ça fonctionne, tour à tour, les invités fuient son entourage, à l’aide aussi du quatuor de musiciens qui demandent l’attention du public. Elle sourcille légèrement, tant mieux, la voilà presque seule, hormis cet homme ivre mort sous l’escalier qu’on cache de peur de choquer, sa femme lui tient la main, pleure, elle chuchote tout bas qu’il lui fait honte. Shame on you. Au moins c’est dit. Vient encore le passage incessants des employés de la salle de réception à la cuisine. Sinon c’est tout, pas un regard sur elle, sur cette larme de cristal qui vient de perler du coin de son oreille. Elle descend au ralenti le long de sa joue, elle vient se perdre sur le coin droit de son menton, elle tombe sur le sol, flip, flop. D’autres ont suivies. Celui qui lui ouvre la porte ne daigne même pas poser ses yeux sur cette créature hybride qu’il croit riche. Il souhaite la bonne soirée, les yeux immobiles sur le mur qui lui fait face. Mademoiselle sort, dans un repli secret, cachette maternelle de ladite robe, elle plonge la main. Elle en sort un étui à cigarettes puis un briquet. Elle en tire une cigarette, elle replace l’étui à sa place. Elle s’allume la cigarette en fermant les yeux, elle inspire une bonne bouffée de tabac, elle rouvre ensuite les yeux, non, miraculeusement elle ne s’est pas transporté dans un autre endroit du globe. La grande demeure est dans son dos, sombre, austère, éclairée par des néons, la façade fait office de vieille citadelle perdue dans une jungle hostile. L’escalier qu’elle descend est en forme de U, elle retire ses chaussures sur la dernière marche, ses pieds nus résonnent à chaque pas en remuant ainsi dans les graviers. Elle craint d’être repérée, mais repérée par qui? Par quoi? La voici maintenant traversant les ombres, elle frôle l’écorce d’un arbre, mais où est-elle bon sang? Elle s’enfonce entres les plantes exotiques, elle contourne une grande serre, maintenant elle sait qu’elle a trop dérivé sur la gauche, elle sait qu’elle doit longer la serre de tout son long, ses pas la ramène sur un autre chemin de petits cailloux blancs cette fois, ce chemin la dépose tout contre une grille en fer forgé qui, faute des temps modernes, peut difficilement cacher le digicode qui luit en bleu clair. Elle prend la première à droite après la grille, elle s’élance sur une grande route vide de tout fantôme, Mathilde n’a peur de rien, la grande route est entourée de haies qui font le double de sa taille, derrière ses haies se trouvent des forêts entières. Deux cents mètres plus loin, elle se retourne pour s’apercevoir que la clarté qui éclaire encore sa route est celle de la réception qu’elle vient de quitter. Trois cents mètres plus loin elle reproduit le même geste, c’est une nuit sans lune, c’est une nuit sans lui aussi. Elle ne sait pas où elle marche. Ni vers où. Simplement marcher, c’est tout.

Le lendemain matin le froid et l’humidité d’abord la réveille. Vient ensuite quelques éclats de lumières, en fait il s’agit des rayons du soleil qui se réverbère dans les gouttes d’eaux en suspension sur les feuilles d’un arbre au creux duquel elle s’est endormie. Elle s’étire l’âme encore dans les brumes de son esprit, ses yeux parcours une sorte de clairière, une biche la scrute dans un coin de ce grand tableau, elle ne tardera pas à fuir, scène étrange. Elle ne retrouvera pas ses chaussures, c’est pied nue que Mathilde rentre, nous sommes lundi, c’est un début de semaine triste, l’air se radoucit, l’hiver sans doute se prépare, ou bien c’est l’hiver qui termine… elle paraît avoir vécue dans un cocon cent années durant, alors elle (re)découvre le monde à sa manière. Le temps se radoucit, certes. Elle soulève un peu sa robe afin de ne plus l’abîmer d’avantage, mais c’est foutu, elle est déchirée sur une bonne partie. Elle regagne d’un bond la route, le bitume est froid, elle fait du stop sur le côté droit, une voiture passe, elle se rend compte qu’elle est du mauvais côté. Elle traverse à nouveau la route en pestant, salauds d’anglais. Un petit vieux dans une voiture minuscule vient. Il ne demande rien, il ne lui parle pas. Jusqu’à ce qu’elle soit arrivée à bon port. Une maison qui semble jetée dans la campagne, en plein milieu, à une dizaine de kilomètres de Londres. Le nom du village est imprononçable, ça sent le mouton, elle aime bien cette ambiance un peu brumeuse, un peu campagnarde, mais pas la maison, bien trop sombre.

À l’intérieur, elle jette une lettre sur le piano.
Mathilde ramasse quelques pièces, quelques affaires jetées dans un sac. Elle déteste par-dessus tout le silence qu’elle louait autrefois, elle hait le bruit du bois qui travaille, la pendule semble souffrir, elle peine à remonter le temps. Elle n’y arrivera pas. Même en faisant chaque jour un vœu, même en fermant les yeux à l’infini. Elle peut tout aussi bien compter jusqu’à trois. Essayons. Un. Deux. Trois.

80. les éléphants bleus pètent plus haut que leur cul



Ernest Hemingway avait tort, l’armée n’a rien de cet infini combat incessant qu’est la vie. De nos jours, un vieux général à la main brisée ne peut pas « éduquer » une jeune fille de plus de la moitié de son âge au grand jeu de rôle de l’amour. Plus rien n’est comme avant, tout est brisé, et « au-delà du fleuve et sous les arbres » montrent que le temps est un rempart à la compréhension niaise qu’on a pu avoir à une époque (celle de la rédaction du livre, par exemple?) puisqu’aujourd’hui la jeune bourgeoise serait une accro blasée tournant à l’héroïne dans un monde en totale décomposition merdique. Bien sûr, les gauchos peuvent se révolter jusqu’au tombeaux, au détour on peut rajouter d’Hemingway le côté facho quand il évoque n’avoir jamais été capable de haïr un seul antisémite de toute sa foutue vie. Oh pardon, il s’agit là de son colonel, le personnage, ce vieil homme au seuil de la mort tenant un discours blasé sur le monde, prodiguant les derniers conseil en guise de dernière onction, avec un traquenard bien dressé dans le pantalon pour dire à la vie « je t’encule pleinement, vieille salope ». Mais c’est faux, oui, tout est faux dans ce livre, si ce n’est la beauté italienne du décor, la réalité faisant qu’on a pu se battre ici lors de quelques guerres mémorables, mais il faudrait bien plus de fric nous dira-t-on pour se baiser une pouliche pareille car de nos jours on ne croit plus en l’amour, dixit le dieu-dollar parlant à travers nos bouches de blaireaux demis-mous. Livre alors partagé, émotions imprécises, puisqu’après tout, un colonel en train de mourir d’une manière allégorique, avançant tout au long du récit jusqu’à sa mort, le récit à de quoi donner quelques bons espoirs. La lenteur du récit ajoute aussi à son charme, on tourne les pages comme on tarde à s’approcher de la tombe, on redoute le pire. Puis vient enfin la fin, quand on referme la vie comme Hemingway clôtura la sienne juste après, ou pas loin après, c’est selon. En juillet 1961 il retourne contre lui son fusil et tire, écrivant un ultime chapitre à ce livre avec son propre sang. C’est vendeur de nos jours, diront les plus osés.

81. ce soir je t'ai tué mon amour sans remord







Je m'en vais bientôt, je ne dormirai pas. Comprendras-tu la souffrance? je ne sais pas. Loin de toi je serai bien, je m'en vais loin de tes mots qui me blessent, qui me coupent en deux. Tu te joues de moi avec tes "je t'aime" d'un soir qui se transforment en "j'arrête de t'aimer" le lendemain sans raisons équivoque (et oui, il y en a une, il y'en a toujours une). Je m'en vais loin de toi, je m'en vais car tu le veux aussi, tu veux que je m'éloigne de toi afin que tu puisses me repousser, tu veux que je sorte de mes gonds, tu veux ma folie encore plus dérangeante...Mais moi je me souviens de la liste des choses à faire avec toi, des mille raisons qui faisait que le soleil se levait. J'avais ton souffle dans le creux de ma peau quelque part, tu jouais dans la maison du bout du monde avec le plus beau sourire qu'il soit. Nos enfants qu'on pendait aux crochets, tellement qu'il y en avait, nous les entraînions aussi à nous supporter. Nos jeux de mots étaient capable d'abattre les murs et l'amour était une force colossale. Mais il faut que je m'en aille pour ne pas que tu me détruises complètement, tu avais réussi à me rendre amoureux de nouveau mais sans savoir ce que tu veux et à jouer à ce jeu des parvenus irréels (ou était-ce le jeu du "je ne sais pas" moi-même je ne sais pas...) tu as réussi à jouer avec moi si fort que tu as brisé de nouveau cette confiance accordée ou cet amour que finalement j'en viens à me demander s'il existe. Tu restais mon âme soeur mais sans effort entretenu, sans sacrifice de ta part il n'y a plus rien. Je n'ai pas besoin d'explications, de tout savoir, mais oui, c'est vrai, j'ai une chose à savoir. Et tant pis si ces jeux tourneront sans cesse, je m'en suis lassé. Je ne veux plus savoir la réponse à cette énigme qui ne dure trop, vois-tu que moi aussi je sais jouer aux jeux perfides? et maintenant que tu as une raison de moins m'aimer - tu es une fille comme les autres; regrettablement tu ne connais rien de moi et c'est bien dommage. Tu as perdu de l'originalité, même ça, et je m'en vais sans le sourire, les larmes sur mes joues à mon tour de débiter tellement de maux enfouis au plus profond de mon être qu'ils éclatent à présent de toute part. Tu m'aimais? mais tu n'as pas su me retenir! Allons, ce n'était pas de l'amour, c'était un jeu de petite fille ne sachant ce qu'elle veut, prendre le thé ou jouer dans le bac à sable?
Et je m'en vais en traînant la jambe, espérant sans doute que tu me rattraperas à la dernière seconde, va savoir. J'aurais préféré que ces jours-ci tu me dises de patienter, que tu n'écrives pas ce foutu dernier article ô combien goutte qui fait déborder la mer de son lit. J'imaginais encore te surprendre à me surprendre, sentir ta main caresser ma joue, me faire une surprise juste une seule. J'imaginais aussi que tu puisses me dire ne part pas, je n'attendais que ça de toi pour me calmer et t'attendre. Et me voilà te faisant souffrir réellement au point que je m'en veux à ce point de rentrer dans ce cercle infernal, mais les dés sont jetés n'est-ce pas? Tu as voulu tout détruire sans nous laisser de chance, tant pis alors. Je continuerai seul sur ma route. Merci de ne m'avoir apporté qu'une illusion, d'avoir rouvert un trou mal placé dans mon palpitant, et merci de n'avoir jamais osé te confier à l'homme qui était pendant un temps le plus important dans ta vie. Que des choses que je regrette, et c'est pourquoi je m'en vais loin de toi en bousillant à mon tour sur mon passage: je ne reviendrai plus, c'est ce foutu article qui en a décidé pour moi, la raison expliquée qui fait que je ne veux plus souffrir: je veux vivre, oui, sans toi.

82. Mathilde et le piano



Mathilde s’approche, le regard mélancolique. Ses yeux penchés en direction du sol admirent son pied déchaussé qui trace des cercles sur le parquet. Sa robe noire, tendrement plissée qu’elle lui va somptueusement, sa robe noire lui va trop bien. Elle fait ressortir ses bras nus au-dessus, le teint mate de sa peau et ses yeux d’une étonnante profondeur bien trop humides pour l’heure mais tout aussi beaux. Ses cheveux retombent en boucles, tout autour de sa tête jusqu’à ses épaules. Ça ressemble vraiment à une ondulation maritime de Juillet quand la mer se calme pour les touristes. Mer châtain. Glaciale. La mer de Bretagne. La jeune femme est accoudée à un mur, un verre dans une main une lettre dans l’autre, les plus belles histoires sont parfois les plus tristes, et les plus beaux héros sont aussi les plus désespérés. Paul alors ne vit plus que par mots, il lui a écrit des montagnes de lettres qui n’aboutissent nulle part sur ces feuillets bien calligraphiés à l’ancienne d’une encre noir de jais. Elle aimerait bien se couler dans cette même encre, se boucher le nez après une bonne aspiration et couler de la plus belle manière qu’il soit. Doit bien y avoir quelque méduses au fond de ce tourbillon qui l’aideront dans sa descente en piqué.
Voici une larme qui tombe de son œil, elle roule doucement le long de sa joue, on dirait un diamant, la musique comme fond sonore réapparait soudainement. C’est un morceau de piano joué très lentement, et cette larme qui marque le tempo est un diamant qu’on aimerait lui soustraire mais qu’on ne peut s’empêcher de regarder chuter le long de la joue puis à présent sur sa robe ou elle finit sa course. Elle disparait dans les méandres de la robe, les passants qui viennent de débarquer ne peuvent comprendre où est passée précisément cette larme merveilleusement mélancolique. Ils ne peuvent qu’espérer le début d’un sourire, qu’elle sèchera de nouveau ses yeux en s’excusant tel que les femmes en général s’exercent à faire dans ce genre de cas pour rassurer la compagnie de ses messieurs. Mais les prémices de ce sourire-là ne vient pas, le pianiste passe à autre chose. Ses yeux se sont levés de son pied au sol, du sol aux chaussures des autres qui continuent de danser tout autour d’elle et qui font mine de ne pas s’intéresser à elle. Elle prend conscience qu’elle se trouve encore dans la salle de bal de ce maudit J., ce brave homme qui n’est plus qu’une lettre dans son répertoire, celui qui se trouve dans sa tête. Elle ne place des lettres que sur certains visages, sans trop savoir pourquoi. Et les J. croisent parfois les H. et les M. dans les mêmes soirées bouleversantes d’une joie qui l’a fait de nouveau frissonner. Elle aimerait pleurer à nouveau puisque c’est si bon de se laisser aller, mais le quand dira-t-on est plus présent maintenant qu’elle vient de prendre conscience qu’elle était toujours dos au mur dans la salle de bal de J., puis même si elle les emmerde tous elle n’a pas le droit de faire ça au jeune homme qui a le compte bien fourni devant ses invités à lui rien qu’à lui et son alcool qu’il disperse aux quatre vents!

Ô se ressaisir, un peu plus. Défroisser la robe, croiser le regard des autres, l’œil mauvais. Se laisser aller, qu’on dise que les choses vont mal parfois et que c’est ainsi. On ne peut empêcher le courant de la vie de trop affluer d’un coup dans le sens inverse. Il arrive parfois que la crue déborde de son nid, l’eau de la mer peut alors gagner toutes les salles de réception du monde si personne ne veille à ça. Tiens, d’ailleurs ce serait marrant de se dire qu’on voudrait faire ce métier-là plus tard.

- Et toi, tu veux faire quoi plus tard?
- Je veux empêcher la mer de sortir de chez elle.

C’est un beau métier, à côtoyer les sirènes et les marins. A attendre son époux sous le phare qui tourne.
Elle aimerait tellement que Lucie soit là, qu’elle lui redonne espoir et oubli. C’est si facile pour les autres d’oublier dans un sourire, de refermer les plaies du cœur et se laisser à la vie. Mathilde envie ce bonheur-là. Elle aimerait redevenir la jeunesse insouciante de ces prémices de la vie qu’elle était. Elle aimerait tant tout changer entièrement afin de ne plus dire au psychologue que rien ne va plus, qu’il faut tout changer. Elle aimerait se soustraire également à la fête, ne jamais avoir lue cette lettre-là de Paul, la dernière des 99 lettres qu’il lui envoyât de Londres après son départ précipité en mai dernier. Maintenant c’est trop tard pour tout refaire, le monde etc… Mathilde se jure qu’un jour elle sourira, qu’un jour elle dansera, mais en attendant c’est trop tôt. Elle court presque au travers de la salle, bousculée par les valses hasardeuses des inconnus en costumes noir et blanc.

- Un triple whisky s’il vous plait.
- Vous n’avez pas l’âge mademoiselle.
- J’ai dix-huit ans.
- Il en faut vingt-et-un de ce côté du globe!

Espèce de snobinard de merde, que ton nom soit roulé dans la boue. J. je t’emmerde; pense-t-elle en rageant. Elle aimerait le trouver parmi la cohue des costumes à portefeuille mais c’est si embarrassant de chercher un homme qu’on a jamais aimé au point de ne plus se souvenir de son visage.

83. je suis né troué (projet abandonné)




Il faut se dire qu’au moment d’écrire ces lignes existent encore ces trois propositions que sont venir à Saint Malo à pied au sortir du train. Vous avez le choix, comme au sortir d’une ville d’y rentrer à nouveau et d’en venir victorieux ou non, l’âme dans l’état que vous la vivez.
Souhaitez-vous prendre le bus que la ligne vous surprend déjà au sortir de la grande place, sur des pavés aplatis désignés qui veulent faire croire sans y parvenir que les pavés malouins arrivent jusqu’ici mais c’est faux, vous fumez votre clope bien tranquillement ou marchant, votre sac rejeté par-dessus une épaule. Traverser le parking de l’ancienne gare alors, le rond point qui coupe le boulevard des Tallards en continuant tout droit devant les pompiers. Vous passez par le port dénué de charme, mais Intra-Muros brille devant vous, s’avançant lentement de sa splendeur reconstruite. C’est tout droit, toujours, au travers de l’entrée du port, après le pont-levis récent, entrée par la porte Saint-Vincent, vous comprenez que quelque soit votre état il y a toujours une porte Saint-Vincent dans votre cœur tout au fond à gauche (j’ai banni pour des raisons politiques le côté droit de ce roman bancal, ne vous étonnez donc pas vous, le liseur un peu perdu si par hasard vous vous apercevez qu’une voiture roule à gauche…).
La deuxième solution est encore de suivre un temps soit peu le passage du bus, celui qui part sur votre droite en suivant la route dès la sortie de la gare. Un premier rond-point s’offre à vous, vous traversez par la gauche (tiens donc) et continuez jusqu’au niveau de la banque qui fait l’angle de la route. N’hésitez pas à rester sur votre gauche, bien qu’il n’y ait pas de trottoir et que par instant il semblerait qu’un bus roulant trop vite s’apprête à vous écraser. Ne prenez pas peur et dîtes vous bien qu’un malouin méchant conducteur de bus est toujours plus intéressant qu’un haut-savoyard ivrement assassin. C’est la fin du boulevard des Tallards, vous continuez le long de la voie, le long du quai du port en n’hésitant pas à aller voir dans l’eau quelques méduses reposantes qui flottent encore actuellement à la surface au moment où je vous parle (Damien, un ami de Dinan, m’a un jour confié qu’elles étaient fausses, je vous laisse la liberté de le croire sur parole ou non). Comme de l’autre côté du quai dans la première solution, et puisque les chemins empruntés sont légèrement parallèles, vous voyez les remparts d’Intra-Muros qui semblent venir à vous, mais c’est plutôt vous qui vous soumettez à elle corps et âme… et toujours cette porte Saint-Vincent qu’on dirait la porte des Enfers ou le passage agité d’un ancien quartier médiéval.
Mais soyez donc flâneur au sortir de la gare, n’hésitez plus à continuer sur la même droite (je ne tiens pas mes paroles puisque me voilà évoquant la droite, bullshit!), continuez donc au même endroit, que précédemment sans trop faillir. Au lieu de continuer sur le quai après le boulevard des Tallards, poursuivez plutôt la flânerie sur la droite (encore!) le long de la plage du sillon. Vous aurez libre plaisir du décor enfiévré qu’une mer puisse avoir en Bretagne, c’est-à-dire souvent en tempête or faussement calme ainsi que peut l’être un ciel. Contemplez les plages, sentez l’odeur du sel qui se dépose sur vos lèvres et gouttez les effluves marines. Les mouettes gueulent si haut dans le ciel en tournoyant qu’on y fera plus gaffe en quelques jours d’acclimatation. C’est l’endroit que je préfère, le premier passage abouti qui fait jaillir cette sensation que, quand on voit la mer malouine de ce côté-ci pour la première fois c’est qu’auparavant on a jamais vu une mer.
Certains bateaux s’étiolent en mer, des navires perdus ou agités qui semblent revenir d’un combat, ne vous trompez donc pas. Il y a bien eu la guerre plus haut en mer, plus en avant. Oui, on s’est battus aussi sur la mer.
Et puis, au détour de votre marche, que n’avez-vous pas fait gaffe à cette cité qui apparaît au détour des habitations, de ce pic christique qui perce le ciel sans faire de trou (mais ça passe à peu de choses; ce fût sûrement calculé au millimètre près), c’est magique, aussi bien que la première fois la ville paraît toujours plus grand en dehors des murs alors qu’elle cache un noyau dont on a vite fait le tour quand on est un touriste de base, et ne prenez pas ça comptant négativement.
La pierre érodée par le silence, le sable et le sel. On jurerait entendre des cris, des rires, de la vie. Parfois de la musique, tantôt un mariage. Il se passe en ces lieux une magie étrange qui ne cesse de me fasciner comme à présent.
C’est encore cette bonne vieille porte, mais à cet instant vous comprenez qu’il existe d’autres portes possibles, pour un peu de votre curiosité vous jurerez même à une faille, un chemin le long du mur d’enceinte au-devant de la plage de l’éventail. Comme votre curiosité à bien raison!
Mais rentrez donc entre ces murs. N’oubliez pas, n’oubliez jamais.

Alors il faut voir la mer, partir loin de ces foutus paysages plats qui ne veulent plus rien dire. Eteindre la dernière clope et se laisser monter dans le train pour partir loin au pays des vagues. Il n’y a plus rien après la mer, après la mer c’est tout. Les vagues, se laisser porter par le bruit du roulis ou encore les mouettes qui rient de tout mais surtout des touristes. On dit qu’en Bretagne il ne pleut que sur les cons. Je le dirai à Diane, elle en rira de ses pluies diluviennes, celles qu’elle porte en elle secrètement depuis toujours.

Je suis venu à Saint Malo un soir de juin.

84. je ne vous crois pas


Sur la vitre mentale au-delà de laquelle se meuvent et tournoient, aquatique ment, d’ambigus ustensiles frappés d’un point de côté - celui des anges - l’instinct diamant d’Henri Michaux poursuit ses méandres. Mille et une fois rayé, et comme jamais, le verre prend la couleur, la forme, la dureté ou la plasticité du moment aigu qu’il reflète et assume, moment où, près d’étouffer, d’avoir le mal de l’air, le poète lance sa main préservée, la jette et trace, en désespoir de cause, tel un rameur exténué, les mots libérateurs. Provisoirement.
L’acte littéraire de Michaux, fulgurant ou effiloché, enveloppé d’humour, institue une sorte de coma qui permet à sa victime, enfin dégagée, un somnambulisme actif, grâce auquel le souvenir de tout geste, parole, signe, traverse la vitre initiale, se débarrassant, au passage, des obstacles qui font penser. Or, penser, comme disait Valéry c’est perdre le fil. Michaux est le trapéziste précis de ce fil sur lequel il exerce son impatience et sa pathétique cruauté. A hauteur frontale, il s’y ménage un lieu de balancement, un poste, un réduit, une plage, où il fatigue sa fatigue, se suce les nerfs, mobilise ses fous; c’est là, entre to be or not to be, entre mi-fugue mi-raison, qu’avec force et faiblesse, présence et absence indifféremment, il résiste. En perpétuelle instance d’humanité, c’est-à-dire de poésie caillée, essentiellement transitoire dans son inutilité souveraine, Michaux reste, assez paradoxalement, l’un des plus vivants, des plus réels défenseurs d’un espace menacé, dans les réseaux duquel s’infiltrent les estafettes marquées d’une armée, dont il est, avec quelques autres, si j’ose dire, privilégiés, organiquement, l’ennemi absolu. Michaux n’est lézardé que dans l’extrême mesure où il n’a pas été touché, empoisonné, mais s’est laissé défaire, par tenace, quoique involontaire, fidélité à ce qui, dans l’homme, répond le moins anecdotique ment, accidentellement, aux sollicitations brutes du désir, qui soulage toute chose mouvementée en expulsant son hasard temporel: « Savoir, autre savoir ici, par savoir pour renseignements. Savoir pour devenir musicienne de la vérité .» Il tache son espace mental - comme l’ombre d’un pur-sang, le champ de courses.
Sartre écrit qu’il faut changer pour rester le même. Michaux le prouve. Et témoigne qu’il y a pire que le fait très simple et un rien prématuré d’être revenu de tout: celui d’être revenu de rien. Mais il doit y avoir de l’être. Même moi, il faut assurément que je sois.


Longtemps je vous ai imaginée à mes côtés du lever à la chute d’un soleil pourrissant de grands calculateurs. Je voyais vôtre corps délicieux dans la pénombre de mon berceau, c’était vous encore dans cette cours de récréations. Je n’ai pas appris mes premiers mots avec le sein de la maternelle mais suspendu à vos lèvres.

85. C'était une scène sensiblement identique quand Caroline est partie au beau milieu de la nuit



La lune est bien ronde, froide. Cette nuit-là il pleut sur Bruxelles. J'ai les mains au fond des poches, des cernes sous les yeux, mon âme est engourdie par l'ivresse du vin des réceptions lointaines. Malaparte m'accompagnait, pas grand chose d'intéressant. Suis rentré dans un café, du bruit, quelques personnes bruyantes, des fumées partout. J'ai envie de pleurer à chaque respiration. Cette chose en moi qui brûle, ça fait un mal de chien. Bruxelles en face d'un café les mains dans les poches l'envie de pleurer. Aux toilettes j'ai téléphoné sur Paris, j'ai salué mon frère. J'ai raccroché, j'ai allumé une clope, j'ai rappelé en France, je ne sais plus quelle ville, ni quel département, son téléphone sonne dans le vide. Elle n'est pas là. Des poings je frappe contre la paroi, mes mains finissent en sang, je pleure à cette stupide révocation. Je suis retourné m'asseoir en face de mon café attablé au milieu de Bruxelles et ses êtres irréels qui me suppliaient de les oublier à tout prix. Je ne pouvais pas me séparer des anges déchus, des guerres inhumaines, de tout ce que le monde avait commis de plus ignoble, je voulais, si c'était humainement possible soustraire ma douleur à celle des nations. Mais non ce n'est pas possible, c'était simplement cette foutue Bruxelles comme un hasard accidentel sur ma route pour aller à.................... je ne sais plus. Mais quelle est donc cette musique?