Pages

25/10/2010

184. epanadiplose radieuse


je suis mort


je regarde les hirondelles tourner dans le ciel
non il s'agit de flocons
qui s'agitent et tournoient
ils meurent en touchant le sol
un sourire uni mon visage
l'apaisement du dernier instant
je suis étrangement calme
et tout est noir
amours perdus que je vous aime
amis sauvés que je vous aime
les bombes étincellantes
transforme des fleurs magnifiques
en robes fleuries d'un million de primevères
les papillons blancs lézardent la paix
c'est con un accident
de parcours
ainsi
mourir
ainsi
tout est calme


je suis mort

23/10/2010

185. Madison


Ce soir de mal-à-vie j'ai déambulé dans les rues gelées de mes montagnes, l'âme un peu en peine d'un je-ne-sais-pas-quoi. J'étais avec Marc, l'éternel Marc. Vu qu'il était tard je n'ai pas hésité à me garer sur un emplacement réservé aux bus, vous en connaissez beaucoup des villes comme ça vous?

Nous nous sommes dirigés dans la plus ancienne rue, le bar s'appelait le Privilège et la serveuse je-ne-sais-plus. Tout ce que je savais d'elle c'était qu'elle venait de Saint-Malo, qu'elle avait un cul formidable, un sourire d'ange, mais que son copain vous refaisait le portrait gratis à la moindre incartade. Pas touche alors, j'ai commandé un whisky douze ans d'âge que j'ai dû prononcer "un-ouiski-douzandage-steuplait" tant le volume sonore pétait les amygdales. Marc a commencé soft, j'ai distribué mes cachetons, nous avons refait le monde, c'était tout. Miss-je-ne-sais-plus nous a refilé l'adresse d'un lieu branché de Chamonix, c'était assez drôle, car je connaissais aussi, que l'heure indiquée était aussi celle que je choisissais d'habitude, et que j'étais sûr et certain de ne pas y aller.

Ensuite, le Dérapage, bar en sous-sol, ancienne ambiance enfumée. Dans la cave, j'ai pris une Guiness, Marc une bière, Nuclear Bob était là dans un coin, veste en cuir sans chapeau, classe sans l'être réellement. Le trop-plein de convives débordait sur l'extérieur, je me suis amusé, j'ai tiré Marc de là, nous nous sommes retrouvés au-dehors, notre verre à la main, je clopais, sous un écriteau marqué noir sur blanc: interdit de sortir avec son verre. La serveuse s'appelle Pauline, elle est super mignonne, un brin de femme qui vous redonne le sourire. Elle m'a gentimment réprimandé sur mon verre, j'ai levé les yeux au ciel "ce n'est pas moi je vous jure!". Elle a souri il me semble, que j'avais envie de gagner des combats pour elle...

Je n'ai pas vu Clara de la soirée. Ni Kelly. Mais cette blonde déjantée que je tardais à reconnaître est venue faire la bise à Marc. Je n'ai rien dit, pas bougé, elle m'a dévisagé de haut en bas, de chaque côté, ensuite en travers, puis elle est rentrée. J'ai demandé qui diable était cette personne, on me répondit qu'il s'agissait de Mady. Bon. Ok. J'ai envisagé quelque part par là l'écriture d'un roman, sans aucun rapport avec mes pensées du moment. Ensuite on est retombé sur Julien, on l'avait déjà vu à l'intérieur, c'en était resté là. Maintenant on refaisait le monde, il traînait avec une poupée bien plus jeune que lui, j'ai examiné un instant ses chaussures à talons, j'ai bien rigolé en voyant qu'elles étaient trop grandes pour ses petits pieds, quoique parfaits je dois dire, et une érection m'est venue en matant la sirène dans son intégralité.

Ensuite, la seule boîte ouvert du coin qui était encore en mesure de nous accepter, a ouvert ses portes. Je dois dire que ma motivation m'avait quitté en chemin, si elle avait été là avant cela. Mais nous sommes quand même descendus jusqu'au bar, on s'est installés, on a bu encore de la manière que font les naufragés de la vie. J'ai aperçu le visage de ma cousine, je la croyais sur Lyon. J'ai dirigé mes pas vers elle, puis nous nous sommes mis à parler de Marc. J'ai admit que je me sentais mal de le voir ainsi, à une heure et demi du matin passée, se déhancher sur une piste devant cette Madison que je ne connaissais plus, jolie blonde aux yeux bleus, on m'a précisé - ma cousine - qu'il s'agissait de la pire salope de la vallée. D'un coup je me suis souvenu d'elle, les portes de ma mémoire se sont ouvertes, je me suis laissé envahir par les flots du souvenir, j'ai revu les scènes grandioses de ma jeunesse, en silence, et j'ai réalisé qu'elle était une sorte de nouvelle bourgeoise qui se la jouait décomplexée en sautant sur tout ce qui bougeait. Son kiffe à elle était de simuler un viol, c'est à dire, comme elle n'avait pas connu de prime abord cette chance dans son épuisante jeunesse sacrée, donc la voici qui recréait à son propre plaisir la scène. Elle parcourait ainsi les bars, les endroits sacrés où il faisait bon vivre, dans sa petite jupe sans rien dessous. Bien sûr, la proie, mise dans la confidence, attendait, tapie, se faisant chasseur d'une nuit. Sortie de nulle part, de n'importe où, l'individu faisait donc son affaire, là, d'un coup, puis s'en allait.

Un jour, m'avait-elle confiée, j'étais en jupe sans rien dessous, j'étais assise au bar, racontant à mon amie que mon fantasme était la surprise. Je pensais qu'il était là aussi, sortant déjà sa queue pour rentrer en moi. J'ai pris mon pied devant les autres, quand il a pris mon cul offert à lui tout en fleur. Puis j'ai vu un visage dans le reflet d'un miroir, la surprise n'en fut que meilleure, mais ô combien étrange, cette sensation de l'inconnu qui s'empare de vous!

Puis je me suis retrouvé à nouveau dans l'ombre d'elle, me demandez pas comment, en un instant j'étais sur elle, son sexe épilé, ses seins qui semblaient frais de la veille, son air déconnecté de la réalité, et j'ai repensé à tout ça pendant ces deux minutes soixante-quinze de lutte avec moi-même. Au final j'ai cessé le combat, j'ai abandonné, je suis parti, et sur la route je me suis mis à pleurer, sans savoir pourquoi, ni pour qui. Une voiture m'a frôlé, j'ai repensé à mon roman, et je me suis dit que ouais, ça en ferait une idée vraiment classe.

22/10/2010

186. l'autre histoire, l'autre époque


Cette petite musique au ralenti l'a faisait vibrer, elle avait la sensation de voler au-dessus des sièges vides du cinéma vox, celui-là même qui avait été l'un des fleurons de la grande époque du cinéma de quartier, lieu de plusieurs rencontres hasardeuses, lieu des retrouvailles et de l'amour mais aussi celui des films maudits quand les corps pleuraient dans le noir afin de mieux se séparer ensuite.

Elle avait une larme à l'oeil en passant l'aspirateur, elle se voulait planante, ailleurs les grandes industries la déposait bien loin de son dernier instant, de cette époque révolue, maintenant on allait voir de tout dans des multiplex, des endroits où le rideau entourant l'écran ne veut plus rien dire, des endroits où il ne se passe plus grand chose, tout est aseptisé et froid, on ne tire plus le rideau sur rien, voir il n'y a plus de rideau, un point c'est tout.
Quelques cigarettes tombées d'un paquet, des pièces, les tiquets d'entrée, quelques chewing-gums collés à même le siège, le promotteur est venu hier, quelques relents de nourriture, de bière, des tâches de boissons, des miettes de pop-corn, des résidus d'un passage, des traces pour dire qu'un jour on a été ici. Le promotteur souriait en fumant un gros cigare, signant un gros chèque.

Tout au ralenti, cette dernière séance, le film projeté sur le coté elle sortait du lot, à pleurer dans un coin de la salle en attendant la fin, en attendant que tout se détruise, que fut fini la dernière séance, qu'on tire un ultime rideau comme le drap mortuaire sur son corps inerte qui ne peut plus aimer, elle était là bêtement à pleurer, un unique spectateur au milieu de la salle, un amoureux du cinéma qui avait suivi depuis son enfance tous les films de sa génération et quelques merveilles encore d'un temps qui passait trop vite. Lui, il n'avait rien osé dire, pas même quand il croisa son regard. Il l'a simplement salué d'un hochement de tête, ce hochement pouvait aussi bien dire bonne chance que à demain, les heures qui s'écoulaient, devenues creuses, lors de ce dernier rangement, le vide, le silence des lieux, tout ça la troublait au plus haut point mais maintenant elle ne pleurait plus.
Elle n'avait même pas à tout ranger, à tout nettoyer,mais elle voulait que ça soit propre pour la grande destruction, pour cette chose qu'un cinéma pouvait devenir, pour cette transformation innoportune. Faîtes marcher le commerce suivant entendait-elle parfois, ça ricanait dans son dos, elle s'en foutait, elle avançait tête baissée, à l'heure d'aujourd'hui on tirait un trait sur la passion même pour venir se noyer dans des grands complexes aseptisés, sans plus aucune sentimentalité du tout, on allait voir les films plus que d'une seule manière, comme on fait les courses.

Elle tira alors le rideau, s'en retourna chez elle en allumant une cigarette dans la nuit noire, consciente de n'avoir été qu'un personnage de second plan dans un film maudit bien trop court qu'un mauvais réalisateur avait filmé. Ce mauvais film, elle le savait, était le cinéma intellectuel contemporain, beaucoup de bruits pour pas grand chose, peu d'oeuvres qui sortent du lot, que des marchandises avariées enveloppées dans des chairs mortes qu'on vend beaucoup trop cher, tirez-donc le rideau, poursuivez-donc votre histoire, éternelle, froide, lisse, sans pop-corn véritable...

18/10/2010

187. Henri Michaux


Prêtez-moi de la grandeur,
Prêtez-moi de la grandeur,
Prêtez-moi de la lenteur,
Prêtez-moi de la lenteur,
Prêtez-moi tout
Et prêtez-vous à moi,
Et prêtez encore,
Et tout de même ça ne suffira pas.

188. un peu d'un peu


"La comédie humaine ne m’absorbe pas assez.
Je ne suis pas tout entier de ce monde."
Ionesco, journal en miettes

17/10/2010

189. 1888, Puccini, le diable


c'était intéressant pour lui de gratter le papier sans perdre haleine des mois durant à se dire le pourquoi des sentiments effacés. La musique venait d'elle-même, quelques pianos dans un coin qu'on paraissait avoir oublier, les violons n'en étaient que plus beau devant ce voile, sur la scène, derrière le grand opéra, le maître dormait auprès des poubelles, l'absinthe à la main, le regard mort du bateau ivre. Tout tanguait, le monde était un vaste océan, dans ces eaux troubles remontaient en surface les erreurs de la veille, les passions de toujours, un peu de mélodramatique dans cette fin de siècle qui s'etouffe d'elle-même. Quand on arrivera au siècle prochain, je m'en irai, aimait-il à le répéter. Comme l'artiste dans son ultime toile, comme le militaire dans son dernier devoir.

Méphistophélès était venu caresser son âme, par la cervelle il lui avait sucé toute sa musique. Il avait aspiré son amour-propre dans des décilitres de vomi. ta-dam ta-dam, piano, violon, saxo et alto, chuchotant le tout, une ultime pièce à la main pour rajouter à son oeuvre, la perfection peut détruire un homme, vous le saviez-vous, madame? oui, il était fini, cette fin de siècle avait eu raison de lui, ne restait que du grand homme le début du singe, une mimique souriante, béante de banalité sur le visage, une légère autosatisfaction dans l'oubli, les méandres de l'alcool, en somme, et ses ravages. Ce qu'il ne fallait pas faire. Le maître était là, gisant, à même le sol, alors que le chef d'orchestre en récoltait les lauriers, le mal nécessaire de s'être agité devant un parterre d'un millier de concitoyens, des patriotes de la musique, dont certains pleuraient. L'âme même de la musique volait au-dessus, virevoltante, elle gagna les loges, prit le feu dans le fond, survola les fauteuils, le souffle de chaleur vint se perdre dans cette larme suspendue de cette femme d'un certain âge au troisième rang. Son mascara coulait, elle n'avait jamais rien entendu de plus beau. Elle n'en entendra guère plus.

190. l'art est [mettez ici ce que bon vous semble]



POURQUOI?

191. un jour tu comprendras que je sais tout


Un éclair de lucidité et rentrer dans un décor immense. Entendre les prémices de son corps, la moindre parcelle qui continue de se battre tout au fond. Ravaler sa salive, sentir la chaleur des lumières figées sur son visage, déglutir puis entonner d'une triste voix ce qu'on nous a appris en coulisse. Raclement de gorge au bout de quelques minutes, jeu du mort qui revient éternellement à la vie, vivre et mourir en alternance, vivre et mourir en permanence. Pianissimo et tutti quanti, les photographes sont dans la foule, anonymes eux aussi, tu es le seul être nu sur scène, le spectacle est dans ta peau, le théâtre des émotions se joue dans tes os. La sueur ruisselle sur ton visage, tu te dis, mais qu'est-ce que tu peux bien te dire? Sans doute ont-ils lus aussi les même livres que toi, sans doute en savant-ils mieux que toi? A caresser les chimères angoissantes, tu as envie d'en rire! tes pas se dirigent de si de là, tu repenses aux contraintes du temps, l'heure qui tourne avec ta langue qui débite les fadaises. L'action de parler, bouger, rêver, croire encore que c'est possible oui, de leur faire croire à ton monde. Ces êtres blèmes perdus dans le néant sous les projos que tu ne vois qu'à peine. Tu sembles te souvenir de ce film, c'est un peu désespérant, mais au final tu en as bien ri de te trouver si semblable à ce clown. En fait c'était bien de toi qu'il s'agissait, ça a toujours été question de toi et non des autres. As-tu peur maintenant? au moment de te livrer? Mais l'assassin est là, tout proche. Il rôde, la foule le voit. Tu feins de ne pas deviner sa présence, bien que la première rangée à les yeux rivés sur lui. Tu sais que son bras se dresse dans ton dos avec le poignard sanglant d'un siècle d'affront. Il se baisse, aaaah! tu hurles encore! aaaah! il te faut souffrir en jouant pour jouer en souffrance, aaah! tu tombes à genoux, un flot de sang mouille ta chemise. Tu tombes lourdement sur scène, sans bruit. Silence. Les projecteurs s'éteignent et le rideau se baisse. Ah. Levé de rideau, les acteurs reviennent, tu salues ton public et à demain. Vivre et mourir en alternance. Vivre et mourir en permanence.

11/10/2010

192. Padre.



Le visage de mon père, à 5h moins dix du matin. Dans le reflet du transporteur qui nous embarque jusque sur Chambéry. Le reflet dans le véhicule donc, reflété dans le rétroviseur à nouveau. Mon père qui prend de l’essence, voyage à l’essentiel avec son fils; travail.

La nuit qui se détache, lentement. D’abord sur l’autoroute où nous sommes seuls dans le carcan silencieusement bruyant de la voiture. Quelques comètes nous poursuivent, elles doublent sur la gauche puis reprennent leur course folle.

Les usines succèdent aux usines sur le bord de la route. Éclairés pour la publicité, des ombres de bulldozers deviennent des démons vampiriques tapis là depuis longtemps.

Dans le petit matin, encore plongé dans le noir, nous nous sommes mis à travailler. Une journée entière dans les brumes, un monde fantomatique qui ne ressemble en rien à ce que je connais. Une odeur d’humidité aussi. Quelques billets échangés pour gagner sa croûte, de la nourriture de supermarché, des fast-food en veux-tu en voilà. Un café. Une bonne bière.

Voilà.

09/10/2010

193. histoire de nos murs


La « banlieue » stigmatisée par l’opinion est davantage une figure abstraite qu’une entité clairement délimitée. A la veille de l’an 2000, entre postmodernité et millénarisme, entre peurs et fantasmes, elle trouve un terrain d’élection. Mais elle est souvent un prétexte pour parler d’ « autre chose », par exemple de la peur du métissage, du sentiment d’exclusion, de la nostalgie du village, du pouvoir des médias et de l’impuissance face aux mutations du monde actuel…


les banlieues vues par Hervé Vieillard-Baron.

194. réalité magique


il y a chez Tapiès quelque chose que je ne saurai expliquer de prenant, c'est comme resonger à ce film, la belle noiseuse, à l'art dans le faux mais le sens dans le vrai, totalement. l'action d'artiste, l'incompréhension, le lien aussi avec le modèle mais ça peut se faire sans modèle non?

transcendentalement correct.

c'est se retrouver d'un coup dans l'atelier de Van Gogh, il t'explique Gauguin, sa vie, sa peinture, son oeuvre, il t'offre un verre à boire avec son oreille coupée, de temps en temps il décroche de la conversation, mais l'explication est toujours la même.

aussi je revois De Staël et son ultime toile, celle de son suicide à travers le cadre de sa fenêtre, performance de l'absurde, le plein et le délié. quelques cloches sonnent, on intitule ça tout bêtement du nom de l'objet, dessous on incruste la manière: lithographie. et la date, 1991, et la taille, 120 x 79 cm.

y'en a encore un million, chez les viennois Klimt et Schiele, de ses idées macabres, loufoques, mystiques, géantes, de ces idées. le jaune des anciens corps, par exemple, chez Géricault, celui qui croyait avoir raison, Dali et son corps rapiécé. les nombreuses revues alors qu'on ouvre pour comprendre ont toutes des noms de hasard. Vieille destinée capricieuse qui un jour à fait d'eux les artistes d'aujourd'hui.
Alors oui, on comprend que la peinture est morte, vive la peinture.

06/10/2010

195. les mots se sont tassés


et lui qui avait compris autre chose, ah le voilà rassuré, ce n'est que de l'homosexualité dont il s'agit là. ok. lui qui pensait à bien pire! mais oui, on peut trouver les hommes dégoûtants, mais étrangement pas les femmes, on ne dira jamais d'elle le moindre mal sous prétexte de cette homosexualité, bon ok. et lui, qui n'avait rien compris, continuait à critiquer les hommes, c'est tous des connards finis, des chiens errants, des queutards, il n'avait pas tort le fou, mais l'homosexualité, bon d'accord, elle est partie pour une femme, ok, mais quand même, pourquoi devrais-je pas dire oh la salope?

196. à l'aube des interstices


Nous on a Johnny, faut pas en dire du mal!

Tonton Georges se disant, a hurlé dans la pièce en frappant du poing sur la table et tu regardais sans cesse la grande course des aiguilles sur l'horloge suspendue au-dessus de la porte d'entrée comme si le temps soudainement allait te permettre de te glisser de ce faux-pas. Devant toi on a étalé l'eau dont personne ne se sert, une assiette avec la choucroute en boîte servie à l'intérieur à peine tiède. Ton pastis dans une main, t'as du mal à le finir. Le Georges te ressert à boire, cette fois-ci du vin, un Bordelais comme toujours, le tic-tac des pendules rend ton calvaire impossible à supporter, mais tu écoutes les conneries de l'autre, la télé bloquée sur la une, le son à fond parce qu'on devient sourd dans les terres plates du silence en ce milieu de pays.

Nous on a Johnny... a rabâché tout doucement l'oncle, puis il s'est penché sur son assiette à la grise mine et lentement entrepris de manger, le nez collé presque contre l'assiette, les cheveux dans son verre, ou était-ce le front, tu ne sais plus, c'est à peu près pareil de toute façon.

L'autre vieux rafistolé passait à la télé, ça souriait de toute ses dents, dehors le joli temps du mois d'octobre te hurlait de fuir, même si c'était pour te perdre. Tu repensais aux subventions alors, celles que le bureau t'accordait, les visites obligatoires aussi parce qu'il fallait bien remercier ce bon vieux Georges de t'avoir offert une place de choix dans la grande usine de sauciflard du pays. D'ailleurs, en plus de la boîte on t'avait dressé un éventail dégueulant de charcuterie, déposé à même la table, encore dans leur emballage ou non, saucisson, jambon, lard, d'autres choses encore, tu te souviens même plus de tous les noms, mais tu revois le pâté que faisait le voisin et ça te fait remonter dans l'estomac un arrière goût de dégueulis nostalgique. Il y a dans les journaux du soir comme un vieux son d'accordéon, cette petite musique de mort, ces vieux refrains de courtisane délaisée. Puis on chante, on en peut plus de chanter, mais on sait très bien que les dimanches d'ennui on les passera à faire la sieste, lire des livres, fumer la pipe de temps en temps à écouter gronder le tonnerre qui s'annonce à la manière du diable cognant à la porte. L'assiette vide en bout de table est, tu le sais, pour l'inconnu qui viendra traîner ses sabots ici. Mais cette assiette vide c'est aussi la mort, l'absent, celui qui manque duquel on entretient le souvenir, la vieille tata Johanne, au regard livide, cell qui prépare bêtement le repas sans rien dire, celle à qui l'on doit tout, jusqu'aux pantalons rapiéciés, elle ne pipe pas un mot devant vos discutions vaseuses, les pensées sur les femmes qui sont toutes des putes, dixit l'oncle, le pet aussi, lâché de travers et bien gras dans la soupe du soir, tu le sais, tu l'as vu, tu l'as senti.

Mais Johnny... symboliquement parlant, Johnny vient de te faire comprendre que tu n'as jamais dit "mon oncle" comme si "mon" était synonyme de détresse, de honte, c'est le mépris de nos proches, la famille que l'on cache, que l'on ne présente jamais. Et pourtant, ils ont des racines pleins les chevilles...

02/10/2010

197. et là, en plein milieu des détectives sauvages, surgissant du verbe même, et des mots à l'envolée construits en canevas...


Schwitters. Kurt Shwitters, a dit l'un des deux gars, le Mexicain, comme s'il venait de retrouver son frère jumeau perdu dans l'enfer des linotypies.

198. au dernier moment dans la plaine en pente


Ya un soleil magnifique sur la vallée. Les rayons explosent, les couleurs fusent, y'a de tout. La montagne semble magique et moi à rien. Je vois des milliers de couleurs, du jaune et plusieurs tons de verts, mais aussi un arbre orange et rouge, le seul, comme d'habitude, parmi ces confrères qui se pavane de ce plumage indécent si tôt. Le frileux est fier de se démarquer du lot, j'ai envie d'aller caresser son écorce, de chatouiller ses feuilles, de m'endormir en son ombre, de lire sous lui. Il a élu domicile, en plus, dans un couloir d'avalanche, les racines solidement arnachées à la terre, il est encore debout, regrettant sa famille disparue si vite une nuit d'orage. Les uns après les autres. Mais il est tout seul, il résiste, et c'est étonnant de le voir ainsi alors que tant d'autres sont partis, on jurerait presque à l'assassin, celui qui pousse les autres dans le vide du coin de ses pensées. Mais cet arbre je l'aime bien, j'ai envie de polir son bois, de faire reluire ses branches, de faire briller ses feuilles, l'idée me vient de lui faire l'amour, me retrouver nu en face d'un roc massif de cette taille-là ou encore de jouer la grimpette, faire la fille de l'air tout en haut, examiner le paysage de sa vue majestueuse. J'ai envie de savoir ce qu'on voit de si haut, redevenir sauvage, plus encore qu'en ce moment, mais je me gratte la barbe, je jette ma clope, je rentre dans mon bocal et au final je me démotive, ça ne sert à rien d'y aller aujourd'hui, ce n'est que trop d'effort pour pas grand chose. Il n'y a pas de poésie là-dedans, juste un effort de plus à faire quand tout est cassé. Je n'ai plus envie d'y aller, je suis flemmard, bien trop. L'arbre, je le vois de ma fenêtre, j'ai l'impression maintenant qu'il pleure, qu'il m'appelle, mais je n'écoute plus rien, je fuis un peu plus et c'est tout. On en reste là mon brave, je viendrai un de ces quatre vous rendre visite, mais pas maintenant, pas tout de suite, il est trop tôt pour mourir dans votre aura.

199. parce qu'on ne peut pas savoir


J'envisage des dessins râtés, tes histoires inachevées, un siècle passé. Des musiques nazes, le temps qui se dissout, le soleil qui disparait, mes peintures déchirées, mes mots comme une preuve que je ne suis pas mort, moi au moins je donne des nouvelles.

J'envisage ton destin raté, petite fille aux boucles blondes aux yeux qui traînent, tes histoires salaces racontées dans l'oreille d'un soir, le noir qui se confond, les excuses d'un cendrier qu'on a volé, les aveux du coupable devant la dernière cène, quelques livres aussi puisqu'il faut bien continuer de penser sans interruption, la Scandinavie, tous ces territoires neutres.

J'envisage nos histoires sans passé, nos conneries retrouvées, nos élancements, nos dissolutions, nos séparations brutales à coup de hache, nos mains coupés, nos corps volés, nos pieds violés, nos pensées sensibles, notre commencement, nos lèvres gercées, nos yeux-mensonges, nos écoutes fustigées, nos danses archaïques, nos fantasmes sur l'oreiller au milieu du public, nos envies passées à déconner dans la luxure des plus grands restaurants du monde.
J'ai tout envisagé, tu vois?