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28/11/2010

173. tu tournes en boucle - alice in labyrinth


Tu tournes en boucle depuis que je te connais, tes boucles se tournent et s'entortillent, tu tournes en boucle devant tes yeux aux pupilles brillantes que forment deux anneaux, deux boucles accomplies, tu tournes en boucle comme le chat dans une cage qui griffera pour sortir, les oreilles un peu en retrait, tu tournes en boucles éparses retombées sur la courbure de tes lèvres vermeilles, merveilles, tu tournes en boucle avec la chaîne autour de ton cou qui est bien la seule à te tenir prisonnière, et encore, tu tournes en boucle, des cercles dessinés sur le sol avec tes pieds, dans l'air avec tes bras, mouvements souples de bassins en boucle, saccadés, tu tournes en boucle jusque dans mon café du matin, tu tournes en boucle comme on prend l'avion, tu tournes en boucles avec ton nombril caché sur ton ventre qu'il faut découvrir, tu tournes en boucle en t'amusant, souriant, jouant, griffant, mordant, tu tournes en boucle, panthère évoluant dans un monde de bibelots, tu tournes en boucle en vieille cassette qu'il faudra réinventé, tu tournes en boucle avec tout tes poils entortillés, tu tournes en boucle, tu prends l'avion, elle fait l'avion, elle fait l'avion, mais rien n'y fait, rien n'y fait, elle tourne en boucle encore et toujours pour l'amour des dératés. Elle fait l'amour. Tu tournes en boucle. Tu tournes en boucle.

174. les angelots du jardin public sous la neige à minuit par moins trente


Je ne me suis jamais autant senti seul dans ces moments où le paysage rejoint l'âme. Les arbres se parent de blanc, le paysage s'adoucit, devient plus serein, alors herbes folles et fleurs pétillantes disparaissent. Le froid engourdit les membres, il fait nuit plus tôt et plus tard, le jour devient la nuit, la nuit devient le jour, un monument aux morts éclatent bien plus à minuit quand on l'illumine sous la neige. Moi ça m'empêche de dormir cette non-obscurité livide derrière mes rideaux ouverts, je vois les morts, ils vont et viennent de ci de là, je les contemple du haut de leur centenaire, je m'ennivre de leurs danses, petites lucioles qui se fanent à l'inverse de l'hiver. La musique se tait, à peine un trombone qui chuchote, à peine un piano sur quelques touches endormies, à peine un violon au sanglot solitaire. Le monde entier d'un quartier s'arrête de tourner, il pèse lourd, le froid envahit les pièces, s'insinue jusque dans l'âme, on croirait le calme avant la tempête. Même les morts s'arrêtent de divaguer. Un vieux peintre aux mains glacées touche l'ivresse de ce nouveau ciel, un sculpteur frémit devant l'insemblable, un écrivain raté se suicide par amour des nuages, le poète a tort, il se peut que les hommes se trompent sur toute la ligne, une seule vérité, une seule saison, et le monde est en émoi quand il rejoint à la fois l'âme et les cieux. Je m'endors tout doucement entre deux chimères, les zombies me bercent, les fantômes me consolent, je me suis dit qu'elle était partie depuis hier, après le "c'est fini" banal. Je m'endors en pensant à elle, tout est calme, mon pouls ralentit, ma température corporelle aussi, 21 grammes en moins, voilà, tout ça d'un coup pour aller danser au bal des monuments, là où plus personne ne se manifeste dans les jardins publics, personne ne regarde jamais plus les noms des fantômes gravés dans la pierre, leurs sourires, leurs images, leurs vies. Dormez dormez petits anges.

21/11/2010

175. Ganz wie sie wollen (tout à fait, comme il vous plaira)


Tabriz.
Thierry qui était à court de toile et de couleurs depuis quelques temps déjà, reçut un avis de la poste l’informant que le matériel qu’il avait commandé en Suisse était enfin arrivé. Il se précipite au bureau, remplit des formules, signe des décharges, paie une taxe, va jusqu’à la douane et en revient , assiste au déballage de son colis. Tout y est - mais quand il fait mine de l’emporter, l’employé le lui retire vivement en expliquant que le directeur qui désire le lui remettre en mains propres s’est absenté pour quelques instants. En attendant, on l’installe dans un petit salon avec une chaufferette, du tabac, des raisins, du thé, et il s’endort. Une heure plus tard, il se réveille et va trouver notre ami, le maître de poste:
- Somme toute qu’est-ce que j’attends?
- Notre directeur… un homme délicieux.
- Et à quelle heure revient-il?
- Pharda (demain)!
- !(?)!
- Votre paquet… aujourd’hui vous l’aurez vu, et demain vous l’emporterez. Deux plaisirs au lieu d’un, conclut aimablement le vieux en le reconduisant jusqu’à la porte.
Pharda toujours invoqué. Pharda gonflé de promesses. Pharda, la vie sera meilleure…


Nicolas Bouvier, l'usage du monde,et toc!

176. des fois que...


Dans cette grande salle qui prend la flotte à pianoter ces touches noires et blanches, j'attends avec impatience ton silence et demi. Le soleil tourne à l'envers, demain il ne se couchera pas mais hier il reviendra comme toi. J'ai revu tes pensées, je t'ai vu tenir le bras d'une Edith Piaf d'opérette que jai haïe. Aïe. J'ai torturé ma bouche, j'ai noué un lien de papier, le tissu est tordu, les ficelles tiendront le coup, je fais du rabibochage à la Frankenstein et je renoue avec mes ténèbres:

"tiens, ça fait longtemps que je ne vous avais pas vu, mais il est vrai que vous aviez toujours été là pour moi dans le plus noir secret de mon for intérieur, c'est gênant."

Je ne suis que votre marionette, je vous aime, je ne suis que votre marionette.

16/11/2010

177. la nuit je me dore


quelques figurines assassines

quelques friandises

qu'on recrache


des nuages sodomites perdus dans le lointain

et ton esprit ne veut plus rien dire...

15/11/2010

178. et moi je veux crier encore une fois avec toi


à mesure que le tonnerre s'estompait la flamme se ravivait, leurs regards se croisaient, les uns avec les autres, des fantômes en déroute qui ne savaient plus quoi faire de leurs carcasses moisies. Le café et les beignets puants sur une table dans le coin du presbytère loué attendaient preneur en s'alourdissant de quelques poussières, on chuchotait à présent dans une demi-obscurité, ainsi, le silence devenait pesant à chaque instant, certains consultaient jusqu'au reflet de leurs chaussures en quête de courage pour prendre la parole.
Un grand brun, un peu gros, les yeux noirs, se lança en premier dans la confidence:

- J'étais avec une femme sublime pendant des années, nous étions heureux, la famille, la vie de couple, et notre enfant dormait paisiblement entre nous deux des soirs comme celui-ci. J'avais un cabot du nom de Rosie, une belle chienne des pyrénées. Elle m'adorait et me suivait partout, même au bistrot. Au lit j'étais un dieu, je me voyais ainsi. Un jour tout ça s'est arrêté, un tournant décisif, j'ai perdu mon emploi, je fais des cauchemars, je ne dors plus, je n'arrive plus rien à faire. Je n'ai pas vu mon enfant depuis... depuis que je sais que je ne suis probablement pas son père, ça me terrifie toute cette histoire.

- et comment avez-vous refait surface?

- On ne refait jamais surface, on meurt éternellement, les soirs de libre on ressasse, tout devient terne, tristement comique. J'ai trouvé un boulot de plongeur dans un grand hôtel panoramique, dans chaque assiette que je lave il y a un peu de mes larmes, dans chaque couvert un bout des autres auxquels je pense. Je rentre à la nuit tombée, je ne vois que rarement le soleil. Dans chaque visage de femme il y a le sien. Je n'ai plus de sexualité et j'attends quelque chose d'exceptionnel qui ne viendra sans doute jamais.

Alors il semblait que dehors les arbres gelaient, qu'ils pliaient sous le vent, que le vent entamait une complainte hivernale bien funeste, et que sur les visages des désespérés présents se jouaient des scénarios compassifs qui voulaient dire qu'une histoire est toujours pire que l'autre.

13/11/2010

179. c'est pas ce que tu crois


à toi celle qui m'oublie lentement, c'est pas ce que tu crois, c'est juste comme ça. j'ai longtemps contemplé tibia peroné, fibres alimentaires, dans la Dordogne il pleuvait mais qu'importe. j'ai fini fou en Suisse au Tibet ou vers chez toi, j'étais à genoux dans vos rues. Le temps c'est comme ton pain, gardes-en pour demain. Je veux rire des montagnes de rire, pleurer des volcans de larmes, j'ai pas fini j'ai pas fini. je suis devenu fou quelque part, dans quelques endroits, c'était ailleurs, pas ici, c'était pour vous, par amour.


where do I begin.


Every you and every me.

10/11/2010

180. Pandora a caché la clé


Les veines éclatent par l'effort, le bateau prend l'eau, tu vas couler au plus profond de tes entrailles. Ton corps strié de plaie est la chose la plus magnifique qu'on puisse voir dans l'horreur de cette petite mort, ton sourire est un rictus de douleur, tu t'engouffres au plus profond de ton corps. Tu n'auras plus d'amour, tu ne penseras plus, les eaux sont noires, tumultueuses, glacées, furieuses, obscènes, elles deviennent ton tombeau, et tu t'enfermes au plus profond de ton coeur pour ne plus jamais remonter à la surface...

181. Maria sort des décombres et commence à bouger son ombre... danse sur le feu Maria


Maria est belle, fine, ses deux seins sont des petites cerises donnant l'impression qu'on vient de les plonger dans du coulis de myrtille. Sa peau foncée, ses yeux noirs, ses cheveux corbeaux qu'on dirait qu'ils vont s'envoler, Maria est une fille d'automne qui a longuement préparé son hiver. Elle est fine, elle est intelligente, elle est rapide, vif comme l'éclair son corps d'une tête de moins que la moyenne sait très bien ce que les hommes attendent. Chaque homme la regarde rentrer dans une pièce et en ressortir, les piliers de comptoir l'attendent avec impatience, le petit blanc à la main pour oublier qu'elle n'appartient à personne. Quand Maria fait danser ses cheveux de chaque côté de son visage elle devient une onde qui se propage aux quatre coins de la pièce où elle se trouve. Maria a des petites mains, des petits pieds, un sourire diabolique qui feint de vous trouver intéressant mais ne rêvez pas, elle s'ennuye déjà de vous, trop occupée à accéder à la divinité. Elle possède ce charme que les autres n'ont pas, elle est mince, elle semble briser par endroits, on dirait qu'elle ploie sous le poids du monde et... son absence de forme soutient le ciel, on devine ses fesses, on se pose sur ses seins, on suit la tige que forme ses bras sans cicatrices. On envie celui qui osera remonter le long de ses cuisses, l'autre, il la connue lors d'une énième séance de pose avec des élèves qui ne savait pas la garder. Il passait son fusain sur la toile, jamais en-dessous, une fois les quelques coups de crayons passés il lui laissait assez de temps pour contempler un ange, ou alors il commençait son fond. Mais Maria, assise en tailleur sans bouger illuminait le cours de peinture ce jour-là. Elle était nue, ses pieds revenus devant sa toison cachait celle-ci, ses longs cheveux semblables à des algues échouées sur la plage et ruisselantes de vie retombaient sur les perles de ses seins. Il était devenu fou d'elle, il en avait des érections à la seule appellation de son prénom. Maria. Un jour il lui avait dit qu'il se tuerait pour elle par amour, alors elle avait commis l'erreur de le laisser faire, sept minutes et vingt-trois secondes de mouvement dans son corps plus tard elle annonçait avec son accent particulier que la fête était finie, qu'il fallait ranger la salle et nettoyer ce qu'il restait à nettoyer, puis partir pour oublier que l'amour écume toujours les bars sans s'arrêter. Elle lui avait dit cela avec un naturel diabolique, sans penser à mal. la fête était finie, tu as éjaculé, on remballe. Et lui avait répondu ok. Il n'avait rien d'autre à dire de toute façon. Jamais plus il n'aura la chance de frôler de nouveau ce corps, alors il se jeta du balcon pour elle, une lettre dans les mains, un long poème de plusieurs pieds. Les gendarmes interrogèrent Maria sans la bousculer réellement, elle semblait absente, loin du monde, ses yeux noirs tels des perles manquantes scrutant le sol à la recherche d'une saleté à nettoyer. L'un d'eux demanda si elle le connaissait, elle n'osa rien dire, ni même qu'elle portait son enfant, ni même qu'elle semblait l'aimer. Elle se contenta de rien dire, non elle ne connaissait pas ce cadavre, juste le goût d'un amant oublié dans la pénombre qui lui était bien en vie. Un gendarme d'une trentaine d'années compatissait, il l'avait vu ainsi, si apeurée, si troublée, un oiseau tombé de sa branche qu'il avait envie de ramasser, qu'il l'attendit le soir à la sortie du travail. Elle ne sursauta même pas quand elle le vit, elle ne broncha pas, il lui demanda alors ce qu'elle comptait faire ce soir, si elle voulait venir chez elle, et il lui dit: "je me tuerai pour vous par amour si vous ne venez pas prendre un verre dans mon appartement".

04/11/2010

182. Roméro et Squelette


Une vieille musique au fond d'un bar, je suppose être du jazz, c'est un morceau assez lent, à présent, avec les vapeurs de l'alcool, je ne sais plus si elle chantée en anglais ou en français - ou dans une autre langue. J'ai la déprime au fond de mon café, j'en rebois un en espérant ne pas m'endormir et mes yeux sont penchés sur les trois doigts qu'il me reste de valide, mais pour combien de temps? Mon dos est voûté, j'ai mal partout, je ressens la moindre brûlure, je n'ai pas fermé l'oeil de la nuit ni les mains aux multiples entailles. Je rebois un café en espérant que d'un bon je vais me lever, péter la forme, que la potion magique qui jaunit les dents fera son effet d'ici quelques secondes, aller mon gars, vas-y. De toute façon il ne me reste qu'une dizaine de minutes avant d'y retourner. J'ai envie d'aller aux chiottes aussi, sans y parvenir, le zombie du premier jour, en somme. J'ai décompté les jours sur le grand calendrier, un boulot de merde contre un boulot de merde, je touche bientôt le fond, je suis bientôt au bout de mes peines, mais à quel prix? Pour 1400 euros environ, la vie est belle, se ruiner la santé, ça n'a pas de prix, diras t'on pour paraphraser la pub. Merci.

01/11/2010

183. Romain Gary, au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable


Je dégringolai l’escalier et sautai dans un taxi. Elle n’était pas à l’hôtel. Je fis le tour des boîtes brésiliennes où elle venait « boire » sa musique parfois. Je l’ai trouvée au Pango, assise dans un coin sombre, pendant qu’un Noir faisait pleurer le piano. Je ne dis rien, je m’assis à côté d’elle. Je lui ai pris la main, pour que les mots se taisent. Nous restâmes là jusqu’à l’aube, en écoutant la musique. Il faut un commencement à tout.