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08/10/2011

76. ending


C’est à 19h40 un soir de décembre que l’événement du siècle est survenu. Je me trouvais dans ma salle de bain entrain de me nettoyer. J’ai entendu un léger clic, toutes les lumières de la maison ont vacillées. J’ai immédiatement pensé à ma femme en imaginant le pire scénario imaginable. Se pouvait-elle qu’elle soit tombée sous les roues d’un camion? J’ai pris mon téléphone portable dans le noir, j’ai attendu un peu qu’un nouveau clignotement s’offre à moi pour paniquer. Pour toute réponse, la maison qui se voulait silencieuse me répondit par le vrombissement de la machine à laver le linge dans le cellier ainsi que celle lavant la vaisselle dans la cuisine. Le ronronnement régulier de mon ordinateur s’est fait entendre aussi, d’une manière surnaturelle. D’habitude je ne l’entendais pas. Le portable en main, les mains trempées, j’ai songé que je pourrais électrocuté l’appareil ainsi, repensant alors aux mises en garde qu’on nous enseigne depuis l’enfance. J’ai reposé le portable sur la commode à ma gauche et j’ai attendu une nouvelle secousse. J’étais habitué aux coupures de courant, aussi, j’étais né en montagne. Dans mon enfance il était fréquent de passer quelques temps, voir une journée entière au maximum, coupé de l’électricité. Aussi, je n’ai pas eu peur, ma crainte était tournée vers mon épouse, je me suis souvenu qu’aujourd’hui elle prenait l’avion à 19h. Il serait encore temps pour moi de l’avoir au téléphone, ai-je songé, les ondes du téléphone doivent bien aller dans les airs même si elles sont dépourvues d’ailes. À cet instant précis, la lumière vacilla de nouveau, j’étais toujours dans mon bain, la dernière vision que j’ai eu fut celle de mes jambes dans l’eau, des volutes de fumée s’échappant de l’eau chaude, de la lumière rassurante qui jaunissait les carreaux de faïence avec un style à l’ancienne. Cette fois-ci l’appartement se plongea dans le noir intégralement. Ma salle de bain ne disposant d’aucune fenêtre, j’ai cherché dans le noir du bout du bras ma serviette au cas où je devais sortir. Les machines furent coupées net, dans la cage d’escalier j’entendais une sorte d’agitation de voisinage auquel je ne prêta aucune attention. Ça dévalait les escaliers à toute hâte, ça hurlait, un enfant gémissait. Les pas pressés se perdirent vite en dehors des escaliers puis en-dehors du bâtiment, bien loin de mes capacités auditives. Je me suis rassuré en me rallongeant dans le bain, en grand crétin que j’étais je me suis dit que ça allait sûrement se remettre, et puis après tout il ne me restait plus qu’une barre de batterie sur le téléphone, pas la peine de l’user en criant au loup. Ma femme devait sûrement siffler une coupe de champagne en compagnie de son employeur pour fêter le nouveau contrat qu’ils venaient de signer pour dieu seul sait où. Les minutes s’écoulèrent, je risquais ma batterie en regardant l’heure, il était 19h52. J’étais un accro à l’heure, je tenais ça de mon père qui avait fait le chauffeur de taxi toute sa vie durant avant de mourir d’une pneumonie lors de sa première semaine de retraite. J’ai toujours pensé que le virus s’était transmis à son enterrement lorsque ma mère me remit la montre paternelle, mais depuis peu j’ai aperçu de vieille photo où je me revois enfant jouant à regarder l’heure. Souriant à mes rêveries, je suis sorti de mon bain. Dans le noir complet j’ai attrapé une serviette que j’ai enroulé autour de ma taille. J’ai pris mon téléphone, en constatant qu’en plus de toutes les pièces de la maison plongées dans le noir, le quartier semblait s’agiter aussi dans le même état. Mon cœur fit un bond, je suis parti à la recherche d’une bougie posée sur ma table de chevet qu’Hélène, c’est-à-dire ma femme, m’avait offert lors d’un anniversaire. Je l’ai allumé puis je suis parti à la recherche d’autres bougies. Le bâtiment était anormalement calme. La lumière surnaturelle de mon ordinateur luisait au salon d’une manière spectrale. Je suis allé jusque dans ma cuisine, de là je me suis penché sur le balcon, j’étais toujours en serviette de bain et de ce point de vue je voyais le quartier plongé dans le noir mais la ville était encore allumée. Calmement je suis parti en chasse d’éventuelles bougies et sources lumineuses, j’ai ramené le tout au centre de la maison, dans le couloir, j’ai posé ça à même le sol, et cette fois j’ai écouté sans pudeur d’autres voisins que je peinais à identifier. Parmi eux un bébé pleurait, un homme d’un certain âge hurlait plus fort encore d’éviter le centre-ville, que c’était la débandade. La voix d’un jeune homme émit un d’accord diablement auditif, j’entendis démarrer puis les voitures s’éloigner au plus bas dans la cour. Craignant de passer pour un fou, je n’osais pas m’aventurer à nouveau sur le balcon pour demander le pourquoi du comment vêtu seulement d’une serviette de bain. Je suis allé m’habiller, mais dans l’appartement, j’ai constaté qu’il régnait une ambiance inhabituelle. Quelque chose grondait dans un coin, un ronflement régulier comme un train revenu au pas de charge. J’ai pointé un briquet dans la direction, Méphisto, mon chat, me dévisagea calmement en continuant de ronronner. Je ne m’étais jamais rendu compte à ce jour qu’un animal si petit pouvait faire autant de bruit. Un déclic nouveau se fit entendre, plusieurs bip sonores sonnèrent dans la maison pour signaler l’électricité revenue par deux fois. Les lumières clignotèrent donc deux fois. Je me suis débarrassé de ma serviette, craignant d’être vu j’ai traversé l’appartement au pas de course. Je me suis senti ridicule au retour dans ma chambre en réalisant que plongé dans l’ombre personne ne pouvait me voir à moins d’être muni de très bons yeux. En face de moi, le bâtiment de l’école municipale était dans le noir également, je ne réalise à présent que maintenant que même les bornes d’urgence ne clignotaient pas.
J’ai donc enfilé des vêtements de tous les jours, un boxer, un jean, un t-shirt, une paire de chaussettes, un sweat, et calmement j’ai enfilé mes chaussures. J’ai noué les lacets, je me suis relevé de l’endroit où j’avais pris place et je suis descendu faire mon curieux, craignant de n’être pas le seul, mais on ne sait jamais, de l’aide peut parfois être la bienvenue. Je me suis dirigé à tâtons dans la cage d’escalier, j’ai failli trébucher plusieurs fois en enviant les aveugles qui eux sauraient faire face à ce genre de situation. Arrivé en bas de l’escalier, au rez-de-chaussée, j’ai soufflé un peu. J’ai aperçu une lueur rougeoyante à mes yeux, un petit point se baladant dans le noir, et l’épaisse odeur de fumée d’une cigarette. J’ai toussé un peu, il s’agissait de Madie, l’habitante du troisième, elle était un peu naïve, ne parlait pas beaucoup si ce n’est pour râler. Ce personnage étrange était la bête noire de l’immeuble. Je dois dire pour ma part que, bien que ne lui ayant jamais parlé, j’avais par concupiscence pris le parti des autres.
- Vous n’êtes pas parti avec les autres? M’a-t-elle demandé.
J’ai signé de la tête que non, mais pouvait-elle seulement percevoir ma réponse? Je me suis empressé d’atteindre la porte de sortie que quelqu’un avait dû briser par manque de temps vu qu’il s’agissait là d’une ouverture électrique. J’ai souhaité à Madie la bonne soirée et je suis sorti. Dehors le froid me cinglait le visage, je n’avais pas pris de veste. J’ai remonté le col du mieux que je pouvais et, les poings au fond des poches je me suis hâté d’atteindre le cabanon du réseau électrique de tout le bloc. Un type que je ne connaissais pas fourrait déjà son nez dans tous les câbles, j’ai pris peur en le voyant qu’un détraqué s’amuse à couper les câbles pour emmerder son monde en plein hiver. Habitant non loin d’un hôpital psychiatrique des cas de ce genre étaient fréquents. Marguerite, la voisine d’en-face, en avait fait les frais un matin avec un fou qui lui avait repeint sa pelouse en rose et uriné sous sa véranda pour finir par déféquer sur son paillasson. Mais le brave type était bien électricien. Il se prenait la tête entre des montagnes de schémas qui ne voulaient rien dire et Fred qui était en outre le gardien de l’immeuble qui, caché dans un coin, lui tenait la lampe de poche à niveau afin qu’ils puissent tous deux lire dans le noir. J’ai demandé s’ils avaient besoin d’aide. Tous deux me firent des yeux ronds. Fred fut le premier à me dire que non, et l’électricien me remercia. Ils semblaient médusés, sans doute leur avais-je fait peur. Une voiture dehors dans la rue déboula à toute vitesse, d’un coup nous entendîmes tous les trois la détonation du véhicule qui rentra dans un lampadaire. Le jeune homme sorti de sa voiture, j’accourus pour lui venir en aide, il était sonné. Le vent redoubla d’intensité, le goudron s’était transformé en une véritable patinoire, et tant bien que mal nous revînmes à l’entrée de mon bâtiment en oubliant le véhicule dont les feux étaient la seule source lumineuse du quartier. La lumière revint à ma montre à 20h31. J’ai été d’abord surpris par le carrelage, il avait gelé. Ce genre de choses n’arrivait jamais. J’ai installé le chauffeur assis en-dessous des boîtes aux lettres derrière la porte, c’était le seul endroit près du chauffage. Il se tenait le bras, il était secoué. Il écarquillait les yeux de temps en temps en se demandant où diable il se trouvait, ou alors était-ce maladif chez lui. Madie n’était plus là, mais l’odeur de sa cigarette envahissait encore l’atmosphère. Une congère s’était formée contre la deuxième porte d’entrée, elle paraissait plus épaisse encore que ce que je pourrais imaginer dans pareil cas. Une autre voiture glissa pour venir s’encastrer dans l’autre. Nous entendîmes tous deux, le chauffeur et moi, le choc de la tôle contre la tôle. Le chauffeur leva les yeux au ciel, jusque là nous n’avions pas parlés tous les deux: « oh putain » lâcha-t-il. Cette route est maudite, ajouta-t-il. Il se releva d’un bond. Je lui ai conseillé qu’il aurait mieux fallu qu’il reste au chaud. Le jeune homme se moqua de moi.
- Touchez-le donc, votre radiateur. Il est gelé!
Et en effet, il était gelé. Le vent dehors redoubla d’intensité. Nous sortîmes tous deux, mais il me semblait qu’il faisait plus froid encore qu’avant. Je grelottais. L’autre voiture, la deuxième, était conduite par une jeune femme et sa fille en bas-âge. Nous dépêchâmes de la sortir de là, mais pour se faire on dû pousser l’autre voiture au maximum de ce qu’on pouvait sur le côté, une portière ayant taper contre, elle était impossible d’ouvrir. La chance revenait à ce que l’autre, se trouvant côté conducteur et contre la première voiture accidentée, ne fut pas endommagée. Tant bien que mal, les deux femmes sortirent de la voiture. On regagna tous ensemble le bâtiment. Le vent cinglant mon visage, j’avais l’impression que des lames de rasoirs me striaient les joues quand à mes mains je ne les sentais plus. Je me suis présenté, John, les autres en firent de même. Le jeune homme s’appelait Sayid et la femme s’appelait Claire. La petite s’appelait Eva. Fred vint se réchauffer dans le hall d’entrée lorsque la lumière coupa à nouveau. Il avait les cheveux gelés.
- les câbles ont tous gelés. C’est impossible de remettre l’électricité en route. Je suis navré, j’ai fait du mieux que je pouvais, Simon aussi.
J’ai passé une main sur son épaule qui se voulait rassurante:
- ne t’inquiètes pas, tu a fait de ton mieux. Ai-je tenté d’avancer.
Mais ses yeux se détachèrent de moi, il lâcha mon bras pour aller se présenter aux autres. Je proposais à tous de monter chez moi pour se réchauffer, l’épaule de Sayid semblait aller mieux et nous étions gelés à attendre contre la porte. Ils me suivirent donc, Fred me prêtant sa lampe de poche pour ouvrir le passage. Arrivé à la maison, j’installais mes hôtes au salon et regagnais les autres pièces pour rassembler quelques bougies devant eux. Fred m’aida à aller chercher de quoi boire dans la cuisine, ce fût lui qui vit le premier la chose. Il avait la bouche bée, il me montra du doigt la ville que l’on voyait à travers les fenêtre, mais je n’avais pas besoin de la voir pour comprendre à l’obscurité grandissante ce qui se passait. Et lentement, quartier après quartier, la ville sombra dans le noir.

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