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08/10/2011

84. je ne vous crois pas


Sur la vitre mentale au-delà de laquelle se meuvent et tournoient, aquatique ment, d’ambigus ustensiles frappés d’un point de côté - celui des anges - l’instinct diamant d’Henri Michaux poursuit ses méandres. Mille et une fois rayé, et comme jamais, le verre prend la couleur, la forme, la dureté ou la plasticité du moment aigu qu’il reflète et assume, moment où, près d’étouffer, d’avoir le mal de l’air, le poète lance sa main préservée, la jette et trace, en désespoir de cause, tel un rameur exténué, les mots libérateurs. Provisoirement.
L’acte littéraire de Michaux, fulgurant ou effiloché, enveloppé d’humour, institue une sorte de coma qui permet à sa victime, enfin dégagée, un somnambulisme actif, grâce auquel le souvenir de tout geste, parole, signe, traverse la vitre initiale, se débarrassant, au passage, des obstacles qui font penser. Or, penser, comme disait Valéry c’est perdre le fil. Michaux est le trapéziste précis de ce fil sur lequel il exerce son impatience et sa pathétique cruauté. A hauteur frontale, il s’y ménage un lieu de balancement, un poste, un réduit, une plage, où il fatigue sa fatigue, se suce les nerfs, mobilise ses fous; c’est là, entre to be or not to be, entre mi-fugue mi-raison, qu’avec force et faiblesse, présence et absence indifféremment, il résiste. En perpétuelle instance d’humanité, c’est-à-dire de poésie caillée, essentiellement transitoire dans son inutilité souveraine, Michaux reste, assez paradoxalement, l’un des plus vivants, des plus réels défenseurs d’un espace menacé, dans les réseaux duquel s’infiltrent les estafettes marquées d’une armée, dont il est, avec quelques autres, si j’ose dire, privilégiés, organiquement, l’ennemi absolu. Michaux n’est lézardé que dans l’extrême mesure où il n’a pas été touché, empoisonné, mais s’est laissé défaire, par tenace, quoique involontaire, fidélité à ce qui, dans l’homme, répond le moins anecdotique ment, accidentellement, aux sollicitations brutes du désir, qui soulage toute chose mouvementée en expulsant son hasard temporel: « Savoir, autre savoir ici, par savoir pour renseignements. Savoir pour devenir musicienne de la vérité .» Il tache son espace mental - comme l’ombre d’un pur-sang, le champ de courses.
Sartre écrit qu’il faut changer pour rester le même. Michaux le prouve. Et témoigne qu’il y a pire que le fait très simple et un rien prématuré d’être revenu de tout: celui d’être revenu de rien. Mais il doit y avoir de l’être. Même moi, il faut assurément que je sois.


Longtemps je vous ai imaginée à mes côtés du lever à la chute d’un soleil pourrissant de grands calculateurs. Je voyais vôtre corps délicieux dans la pénombre de mon berceau, c’était vous encore dans cette cours de récréations. Je n’ai pas appris mes premiers mots avec le sein de la maternelle mais suspendu à vos lèvres.

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