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27/05/2010

307. de la neige dans mes cendres


La première fois que j'ai vu Noriko elle ne me faisait aucun effet. Ce n'était là qu'une gamine de riche au look improbable, se voulant la nouvelle star d'un cirque VIP éculé. Ses collants sous sa jupe reprenaient des motifs tribaux bien épais, ses bras se perdaient dans des bracelets de toutes les couleurs, sa ceinture s'illuminait la nuit, sa jupe était bleue, classique, plissée, et sur son haut orangé on pouvait lire "I hate the world but i love you". Ses lunettes lui bouffait le visage à la Paris Hilton, et comme c'était souvent le cas chez ce genre de personne j'étais bien incapable de dire son âge, l'approchant plus de seize ans que de vingt-neuf. Elle était à une table de moi, mangeant avec son couteau ce qu'elle coupait avec sa fourchette. Elle buvait du coca en accompagnement de sa galette-saucisse et se cachait pour rôter. Elle avait posé ses lunettes à côté de son assiette et je voyais dans son regard aux yeux bridés une gêne qu'elle me traduisait dans un sourire incompréhensible quand venait le moment de croiser mon regard hagard. J'en étais déjà au café, arrosé d'un peu de digestif du pays pour évacuer plus rapidement le tout. L'alcool me montait à la tête et il me tardait d'en sortir au plus vite pour m'extirper de cette crêperie trop chaude. Gaëlle me regardait, le visage légèrement penché de côté dans l'incompréhension de mes moindres gestes, je lui avais fait perdre l'habitude de me demander pourquoi je faisais chaque geste précisément de telle manière différente d'elle mais elle n'en était pas moins curieuse pour autant; cette curiosité donc se traduisait toujours par ce long regard inquisiteur qui était comme si elle me demandait à nouveau la même question usée: pourquoi fais-tu ce geste? Bon sang, j'avais besoin de cette cloque, cette asiatique un peu folle était bien trop captivante, Gaëlle m'ennuyait, je n'avais plus rien à lui dire que ce que je lui avais raconté.

Aujourd'hui je me suis levé, je suis parti travailler. Eric m'a fait rire au boulot en reproduisant les mimiques simiesques du patron. A la pause-clope j'ai essayé une de ses clopes, une Fortuna. C'était immonde, tu sais. A onze heures je t'ai appelé, plus par habitude que parce que tu me manquais. Je m'ennuyais aussi un peu, j'avais besoin de m'occuper, tu étais mon dernier recours. J'étais content de voir, à la sortie du boulot, que les arbres resplendissaient de feuilles brillantes. Le vent les faisait bouger dans tous les sens. Le pollen s'envolaient par bouchées blanches au travers de la route, devant moi, et je souriais au soleil se déposant sur mon visage. En ville, on recommençait à planter les fleurs, chaque année, à la même période, c'était le rituel. Puis je t'ai croisé devant la crêperie, toujours la même. J'ai embrassé ton vague souvenir, l'impression de t'avoir aimé pendant un temps. J'avais envie de ton corps, mais aussi de manger ailleurs. Je connais cette fichue carte par coeur, les plats, tout. Même la décoration du restaurant n'a pas changé depuis des années. Le goût est toujours le même, je mastique mon plat parce qu'il faut bien que je mange, mais c'est tout. Je regarde avec désir la fenêtre, je voulais manger dehors en terrasse, toi non. Tu n'as jamais voulu. "Il fait trop froid" ou alors "je suis allergique au pollen, tu le sais bien!" mais jamais un éternuement à la moindre sortie, jamais un son étouffé dans ta voix quand tu es au-dehors de la maison.

Je pensais à tout ça, je n'en ai dit que le tiers malheureusement. Gaëlle et son ton de reproche soudainement venait de s'asseoir sur une chaise pour payer, ce coup-ci c'était à elle de régler. Elle s'asseyait toujours pour ça, sur la grande chaise du bar, et je voyais un bout de son string en haut de ses cuisses écartées. Vulgairement, sa robe remontait, en dévoilant un peu plus, choquant quelques personnes au passage, moi y compris. Mais j'avais arrêté de la sermonner depuis un mois; ça ne menait plus à rien de refaire son éducation semblable à la mienne et je n'avais nulle envie de la sermoner. Noriko n'existait déjà plus à ce moment-là, Gaëlle conseillait son inchangeable salade qui n'allait jamais à chaque fois "plus de poivre la prochaine fois" et la serveuse, Anne, hochait la tête avec compassion (elle devait sûrement s'en foutre royalement). Noriko n'exista plus que par un adieu, une dernière fois avant de passer la porte je m'étais retourné pour la voir, pourquoi je ne saurai jamais. Elle avait baissé les yeux devant moi, ses joues semblaient rougir. C'était tout. Au-dehors j'ai enfin pu en griller une. Je raccompagnais Gaëlle à la voiture avant de reprendre le sens inverse afin de remonter l'avenue. Elle tenait mon bras sans un mot, souriait niaisement au soleil en jouant avec une pièce entre ses doigts. Depuis quelques temps elle s'entraînait à faire disparaître la pièce sans succès. Enfin, on arriva à la voiture, il me pressait de me défaire d'elle. Je l'abandonnais à la carcasse brûlante aussi bien à l'extérieur qu'à l'intérieur. Je l'ai embrassé évasiment. J'ai regardé ma montre, treize-heures et neuf-minutes. J'ai attendu que la voiture s'en aille, disparaisse au coin de la rue. Je me trouvais ridicule à saluer ainsi de la main.

Ensuite, j'ai remonté l'avenue de l'aiguille, repassant devant la crêperie, mais elle n'était plus là cette inconnue asiatique. Sincèrement, j'attendais quoi d'elle? Si elle n'était pas encore partie, qu'aurais-je fais?

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