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26/05/2010

308. la maladie des arbres


Je me maudis moi-même, moi, Giuliana, la femme qui n'a pas su ce qu'elle aimait. J'ai cru pouvoir me rendre sourde à la vie. J'ai banni mon homme, mon enfant et ma ville hors de mes pensées. J'ai chassé tous ces souvenirs alors que j'aurais dû les chérir comme les seuls vestiges sauvés du cataclysme. Je me maudis moi-même, moi, Giuliana la laide. Matteo me manque. Matteo me manque qui est mort englouti. Pippo me manque. Mes hommes ont été terrassés et je n'ai rien fait. Je ne les ai pas aidés. Je ne les ai pas accompagnés. Je les ai bannis de mon esprit. Je suis Giuliana la lâche qui a voulu se préserver de la douleur. Alors je prends ce couteau, et je me coupe les tétons.

Le premier, que mon fils a tété, je le coupe et je le laisse sur les pierres des collines en souvenir de la mère que j'étais. Le second, que mon homme a léché, je le coupe et je le laisse sur les pierres des collines en souvenir de l'amante que j'étais. Je suis Giuliana la laide, je n'ai plus de seins. Je ne mérite rien. Maintenant je décide de vieillir. Je veux être affreuse et sénile. Je veux être un corps qui s'use et se tord. Je n'aurai plus d'âge. Tout ira vite. Je le veux. Dans les semaines, les mois, les années qui viennent, je me flétrirai. Demain mes cheveux seront blancs. Dans quelques temps, j'aurai les dents déchaussées et les mains tremblantes. Je demande la vieillesse et les tressautements. Je m'ampute les seins. Je ne suis plus une femme. On ne me demandera plus rien. Je ne reconnaîtrai plus personne. Qu'on me laisse avec les souvenirs du passé, dans le fouillis de mon esprit. Je veux que l'on ne sache plus quoi faire de moi et que l'on m'emmène dans un hôpital où je finirai mes jours dans la solitude des vies ratées. Je suis Giuliana l'aliénée. Je décide aujourd'hui que ma peau va se rider et mes cheveux tomber. Je parlerai seule. Je crierai pour chasser les ombres qui me harcèleront. Mes nuits seront longues, d'insomnie et de terreur que rien ne pourra soulager. Je suis Giuliana aux seins coupés. Je n'appartiens plus au monde.

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