Pages

22/10/2010

186. l'autre histoire, l'autre époque


Cette petite musique au ralenti l'a faisait vibrer, elle avait la sensation de voler au-dessus des sièges vides du cinéma vox, celui-là même qui avait été l'un des fleurons de la grande époque du cinéma de quartier, lieu de plusieurs rencontres hasardeuses, lieu des retrouvailles et de l'amour mais aussi celui des films maudits quand les corps pleuraient dans le noir afin de mieux se séparer ensuite.

Elle avait une larme à l'oeil en passant l'aspirateur, elle se voulait planante, ailleurs les grandes industries la déposait bien loin de son dernier instant, de cette époque révolue, maintenant on allait voir de tout dans des multiplex, des endroits où le rideau entourant l'écran ne veut plus rien dire, des endroits où il ne se passe plus grand chose, tout est aseptisé et froid, on ne tire plus le rideau sur rien, voir il n'y a plus de rideau, un point c'est tout.
Quelques cigarettes tombées d'un paquet, des pièces, les tiquets d'entrée, quelques chewing-gums collés à même le siège, le promotteur est venu hier, quelques relents de nourriture, de bière, des tâches de boissons, des miettes de pop-corn, des résidus d'un passage, des traces pour dire qu'un jour on a été ici. Le promotteur souriait en fumant un gros cigare, signant un gros chèque.

Tout au ralenti, cette dernière séance, le film projeté sur le coté elle sortait du lot, à pleurer dans un coin de la salle en attendant la fin, en attendant que tout se détruise, que fut fini la dernière séance, qu'on tire un ultime rideau comme le drap mortuaire sur son corps inerte qui ne peut plus aimer, elle était là bêtement à pleurer, un unique spectateur au milieu de la salle, un amoureux du cinéma qui avait suivi depuis son enfance tous les films de sa génération et quelques merveilles encore d'un temps qui passait trop vite. Lui, il n'avait rien osé dire, pas même quand il croisa son regard. Il l'a simplement salué d'un hochement de tête, ce hochement pouvait aussi bien dire bonne chance que à demain, les heures qui s'écoulaient, devenues creuses, lors de ce dernier rangement, le vide, le silence des lieux, tout ça la troublait au plus haut point mais maintenant elle ne pleurait plus.
Elle n'avait même pas à tout ranger, à tout nettoyer,mais elle voulait que ça soit propre pour la grande destruction, pour cette chose qu'un cinéma pouvait devenir, pour cette transformation innoportune. Faîtes marcher le commerce suivant entendait-elle parfois, ça ricanait dans son dos, elle s'en foutait, elle avançait tête baissée, à l'heure d'aujourd'hui on tirait un trait sur la passion même pour venir se noyer dans des grands complexes aseptisés, sans plus aucune sentimentalité du tout, on allait voir les films plus que d'une seule manière, comme on fait les courses.

Elle tira alors le rideau, s'en retourna chez elle en allumant une cigarette dans la nuit noire, consciente de n'avoir été qu'un personnage de second plan dans un film maudit bien trop court qu'un mauvais réalisateur avait filmé. Ce mauvais film, elle le savait, était le cinéma intellectuel contemporain, beaucoup de bruits pour pas grand chose, peu d'oeuvres qui sortent du lot, que des marchandises avariées enveloppées dans des chairs mortes qu'on vend beaucoup trop cher, tirez-donc le rideau, poursuivez-donc votre histoire, éternelle, froide, lisse, sans pop-corn véritable...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

overdose(s)