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22/02/2010

371. les délaissés pour compte (vivre en arrière)


On pleure pas parce qu'un train s'en va.
On pleure pas parce qu'un train s'en vient.
On reste là sur le quai.
On attend.

C'était mon inutile centième cigarette sur ce quai de gare. Je me souviens de ce jour. Un peu avant le premier novembre, un peu après. Qu'attendais-je? J'attendais de vivre. Les défoncés du gaz attendaient paisiblement faisant tout comme moi, et mes cernes ne s'en allaient pas. Je regardais le défilé des inintéressants, étais-je le seul à valoir le détour?

On pleure pas parce qu'un train s'en va.
On pleure pas parce qu'un train s'en vient.
On reste là sur le quai.
On attend.

Une petite personne, cheveux frisés, lunettes carrées sur les yeux à l'allure un peu folle. Je l'imaginais le jour de son premier boulot en stress. Panique panique. Elle courrait pour pas grand chose, le train n'allait pas partir sans elle une demi-heure avant le départ, et je fumais un peu trop. Mais étais-je le seul endormi?

On pleure pas parce qu'un train s'en va.
On pleure pas parce qu'un train s'en vient.
On reste là sur le quai.
On attend.

Un grand type tout sec, du genre Emile de Emile et Images. Pas trop de cheveux sur le caillou à la quaraintaine bien passée. Les narines bien en avant et le sourire qui se veut rassurant. Il m'a taxé une blonde en se voulant le roi du monde. Il marchait d'un pas assuré. Pas trop de valises, il a tout déchargé en plein milieu de l'entrée du genre la route est à lui le temps de fumer. Il m'a raconté sa vie qui semble-t-il paraissait plus captivante que la mienne. Il est vrai que j'ai toujours voulu vivre avec ma mère seul comme un idiot jusqu'à mes 40 balais dépassés. Mais étais-je le seul réaliste?

On pleure pas parce qu'un train s'en va.
On pleure pas parce qu'un train s'en vient.
On reste là sur le quai.
On attend.

Puis je suis monté, mon hypermnésie ne me permit pas de me souvenir du numéro de la place. Je me suis faufilé dans l'allée, j'ai pris un strapotin quelque part dans le néant, les écouteurs sur les yeux et les lunettes sur les oreilles. Bien calé je me suis laissé bercer dans le train, un live à la main, et j'ai piqué du nez sans m'en rendre compte. Je me suis jugé plus malin que les autres à faire l'amoureux, étais-je le plus con du lot?

On pleure pas parce qu'un train s'en va.
On pleure pas parce qu'un train s'en vient.
On reste là sur le quai.
On attend.

Et alors c'est l'annonce de la gare qui réveille. Le discman a depuis longtemps cessé de tourner, mon livre tombé au sol a été piétiné par une foule de touristes pressés. Ils gardent l'apparence des cons ces petits inconnus du néant. Je me suis dépêché aussi, j'étais bien sûr le mouton qui se prend pour un loup dans ce genre de cas. Avec nonchalance je suis sorti de la rame au-dehors, avec ce côté je-m'en-fouttiste que certains de mes proches connaissent. Les pieds sur l'escalier, je me suis étiré les bras en baillant. Le soleil se levait tout juste et une nouvelle annonce disait "Bienvenue à Paris-Gare de Lyon, correspondance pour..."
Mais celle qui devait venir n'est jamais venue.

On pleure pas parce qu'un train s'en va.
On pleure pas parce qu'un train s'en vient.
On reste là sur le quai.
On attend.

Je suis reparti dans le brouillard de la soirée, le temps de prendre un billet de train, de ravaler mes larmes, de comprendre le manque avec un grand M. L'absente demeurait telle. Le train s'éloigna. Alors j'ai placé les écouteurs sur mes oreilles, je me suis plongé à un moment dans la contemplation des visages par-dessus les mots. Il me semblait voir des anges séquestrant un démon tout autour. Comme ils avaient raison! Alors j'ai fermé les yeux en larmes, je me suis endormi profondément, mais la musique continuait jusque dans mon rêve et ça disait...

On pleure pas parce qu'un train s'en va.
On pleure pas parce qu'un train s'en vient.
On reste là sur le quai.
On attend.

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