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08/02/2010

377. s'étendre à demi-mort


c'était dans l'après-midi (car dans un sens tout se passe toujours un après-midi), il écoutait Bonnie Portmore. La musique semblait fuir de l'intérieur boisé de la maison. En face de lui surgissait les montagnes du Tibet comme une unique réponse à de minuscules questions.

Le café dans la tasse émaillée à l'anse brisée fumait encore un peu.

Son bout de roulée avait pris fin entre ses lèvres, incapable de se consumer plus sous la pluie.

Férocement il s'échinait encore à lire; bien que la pluie tombait sur les pages, avalant les mots dans cette cacophonie de la beauté dans l'extrême moment. Et les mots coulaient jusque sur son pantalon humide. Et les mots se déchiraient.


Plic ploc plic ploc.


Elisa n'en pouvait plus, sur sa gauche sous le portique. Elle faisait face à son profil. Lui ne bougeait presque plus, ou alors était-ce pour tenter de tourner des pages gorgées des larmes du ciel, ces mêmes pages qui n'avaient plus de sens. Il s'obstinait sans en connaître la raison. Tout se trempait.


Plic ploc plic ploc.


Ses cheveux sous sa casquette, sa barbe, sa veste ouverte et à l'intérieur, son corps jusqu'à son âme, son âme jusqu'à ses os trop minces. Tout se trempait.

Alors Elisa tentait encore plus de le sortir de sa torpeur qui se voulait dramatique, à moitié énervée (l'autre moitié en fait en douleur à l'âme):

"Tu vas attraper la mort. Rentre. Ne fais pas ça...Je t'en prie..."

Et la complainte continuait à mesure que la pluie redoublait d'intensité. La mélodie sur la fin, il semblait que tout concordait sur le plan des émotions, de la musique à l'eau, de l'eau à l'homme trempé, de l'homme trempé aux paupières gonflées d'Elisa. Elisa qui était à genoux à présent, tenant son visage dans ses mains dans la crasse du devant de l'habitation, à même la terre boueuse qui tâchait sa robe dans un affront colérique du divin. Elle simulait des pleurs incapables de sortir. Elle ne voulait pas céder, pas pleurer, non pas pleurer...


Plic ploc plic ploc.


Bonnie Portmore céda la place à Caruso. La pluie redoubla d'effort. Elle se stoppa nette. Un rayon de soleil comme une once d'espoir transperça le coeur du ciel. Le rayon vînt se déposer sur le visage innocent d'un enfant qui s'amusait plus bas dans la plaine, puis il remonta jusqu'à eux deux devant la maison. Tout semblait s'arrêter dans ce début du monde, tout recommençait à nouveau au lendemain de la tempête.

La femme qui l'avait épousée vingt ans plus tôt était magnifique avec autant de soleil dans les yeux. Diablement belle, mais le soleil stoppait ses mensonges, déjà il réchauffait les coeurs morts ou les pulsions de la veille. Inégalable beauté intime alors. Celle des objets se révelèrent bien plus encore. Tout se parait de vert nature, de blanc décomposé, de bleu Klein, du marron de la boue étalée au devant.

Alors il attrappa cette vieille tasse qui en avait vue de toutes les couleurs, jeta le reste du café au sol qui se mélangea à la boue dans un dessin en spirale qui eût pour effet de réveiller les morts puis retourna se sécher dans la maison. La pluie recommençait à tomber, finement, juste quelques gouttelettes sous le soleil, peu d'importance au monde de toute façon: il avait fini son livre.

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