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20/08/2010

232. vie et mort de l'inconnu


c'est vrai que j'étais là le premier jour car il avait crié. Tous semblaient entendre son cri de désespoir d'être sorti si tôt du ventre de sa mère. Et moi je rougissais, je tenais ce petit morceau encore rempli de sang qui déjà s'agitait. Et son petit coeur battait, mais pas comme les autres. J'ai ressenti beaucoup de coeur d'enfants par la suite pour pouvoir affirmer cela. Il cultivait aussi la différence avec un regard sorti du fond des âges, un regard qu'on avait oublié, mais tous, on le connaissait se regard.
Enfant il n'était pas du même bois que les autres, passaient de longues heures allongés sous un arbre qui mourrait, à l'ombre des chats, des jeux, des autres enfants. Il jouait en silence quand il le faisait puis scrutait les nuages longuement. On aurait dit que seul le sens du vent l'importait, comment la terre tournait, de quoi étaient faites les rivières, ce genre de truc.
Il poursuivit sa scolarité ainsi, distant des autres mais pas de l'amour, distant des amis mais pas de la poésie. Il semblait souffrir avec ce regard mélancolique, et tout se jouait là-dedans, dans cette petite caboche qui emmagasinait les émotions comme les informations sur tout.
De quoi était fait la terre.
Comment on construisait des ordinateurs.
Par où s'en allait le vent.
Son premier amour était sombrement gothique, on raconte qu'un soir ils voulurent se suicider. La gamine seule resta sur le carreau. Lui il laissa tout un côté de paralyser avec son âme envolée pour toujours. Mais ô combien de fois l'avais-je vu apprécier encore plus la vie par la suite?
Il l'aimait cette fichue vie qui ne lui offrait que la misère et la mort!
Il avait tant ri de ses propres mésaventures, toutes les fois où il me les racontait avec ses mots à lui pleins de détachement. à côté de ça une guerre n'était pas bien grave, une amputation ressemblait à un pansement à vie, la mort n'était plus qu'un jeu...
Mais pourtant un matin il n'était plus là. Il était parti cueillir quelques pommes. Sur le chemin du retour l'autre l'avait détroussé, vulgaire bandit d'opérette. Se laissant faire, il avait ouvert les bras, acceuillant la mort au champ d'honneur. Il était tombé d'un coup dans un champ de fleurs. Le blé bruissait doucement quand je l'ai retrouvé, un sourire dessiné à vie sur son visage, ses yeux examinants encore scrupuleusement le ciel. Je l'ai serré contre moi, ce pauvre enfant, je n'ai pas pleuré. Je l'ai ramené plus encore dans ma chaleur, pensant qu'une magie pouvait toujours s'opérer, mais rien ne se passait. Alors je l'ai porté, je l'ai ramené chez lui. Les jours qui ont suivi furent ceux de la couleur de la mort. Une fois la dernière bouchée de terre avalée, on reprit nos vies, tous. Même ceux qui l'avaient connu. Mais jamais il ne disparut des mémoires, aussi, madame, quand vous me demandez si j'ai déjà connu un ange, je vous réponds que oui. J'en ai déjà connu un, un vrai, et il est mort depuis...

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