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29/08/2010

222. préservation de l'énigme centrale de la vie


Chez moi. Le placard est éventré. Tout dégueule de son intérieur, vêtements, sacs que je prépare, livres et bande-dessinées. Je suis assis sur mon lit, je fume le restant d’une Lucky Strike, une besace trouée en main, attendant de la remplir. Je contemple mon t-shirt Superman dans un coin, je l’ai placé à sécher sur un radiateur dans une position christique, et il trône au milieu de tout ce merdier au sol. Dans chaque cendrier il y a un livre d’en moyenne deux cents pages que j’ai plus ou moins lues, je suis maintenant à trois jours de rentrer de Saint-Malo où j’ai passé une saison d’été qui pour une fois me laisse sans voix. Je ne sais plus trop quoi penser de ce que j’ai fait ces deux derniers mois, voir ces deux derniers mois et demi. J’ai l’impression d’avoir changé sans m’en rendre compte, en effet, je ne sais plus trop ce que je suis devenu. Fièrement, avant de partir, je comptais profiter de ma présence en Bretagne pour écrire un roman qui n’a pas eu lieu. Une vingtaine de dossiers portent des noms bizarres dans mon ordinateur, ce sont les restes de mes écrits inachevés, de ces romans qui n’existeront jamais, de ces longues histoires dont j’ai perdu le fil en cours de route. Je ne me suis pas trop intéressé à moi-même, aux alentours du 1er août je perdais ma voiture dans un accident, un de plus, et j’en étais venu à m’en foutre totalement. Le garagiste me faisait baisser les bras, je comptais m’endormir quelque part sur la route, ne plus bouger, ne plus écrire.

Puis tout le monde, tout autour de moi, mes amis qui se voulaient désireux de me voir écrire une longue histoire sans pour autant me lire avaient fini par me convaincre de le faire réellement. Idiot comme je suis-je leur ai répondu que oui, j’allais le faire, oui j’allais écrire quelque chose, oui ce sera long, oui ce sera tour à tour l’histoire d’un amour, l’histoire de plusieurs amours, des rencontres fortuites dans un train de nuit - ou de jour pourquoi pas - le paysage qui défile, histoire de la pluie à travers les siècles, un enfant atteint d’une leucémie, l’histoire de mes amis, de mes ennemis, de mes conquêtes extravagantes, d’un monde en décrépitude, de mon état le plus intime à l’avoué, de mes amours…

Si je vous écris maintenant que la saison est passée, cher Christian, c’est la preuve que vous aviez raison. J’ai effectivement baissé les bras devant la charge incombée, je me suis replié sur moi-même une nouvelle fois et le résultat est sans appel. Je n’ai rien écrit de conséquent de toute la saison. Mes histoires ne sont que du vent, des courants d’air qui ne vous ont rien laissé à produire, pas plus à publier. On ne me lira pas dans les taxis, ni dans les gares, encore moins dans vos librairies. Vous souvenez-vous pourtant que, avant de venir m’installer en Bretagne - à l’époque je voulais que ce fut définitif - j’étais un jeune homme de vingt-quatre ans plein d’ambitions. Je me demande par où le rêve s’est envolé. Je ne trace plus dans vos lettres qu’un constat bien désolant, ce pourrait être l’état de mon moral aussi, mais je ne suis pas comme ça. À vrai dire je ne sais même pas où me placer en ce moment-même. Bientôt j’irai récupérer une voiture pour m’envoler loin d’ici. Je passerai par chez vous, à Paris même. Je me veux la présence de mon cousin, alors que je ne suis guère proche de lui. J’ai bien plus besoin de vous, de vos conseils, du moins je veux me le faire croire pour me rassurer que je suis encore en mesure d’écrire. Ecriture folle alors, habituelle et routinière.
Vous êtes bien plus qu’un père pour moi, en doutiez-vous?

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