Pages

04/06/2010

299. j'envisage des bruits sourds


Je viens de passer cinq heures à peindre dans une solitude autre que celle de Ferré. Mes mains sont entachées de ce crime, elles sentent aussi le café et le tabac refroidi de ce long passage. Bien autrement que tout, il me fallait fuir sans aller de l'avant, mais l'avant c'est où? Je ne le saurai sans doute jamais. L'élément le plus dur dans la peinture c'est ce qui peut suivre après, une fois que tu as fini tes petits détails, que tu as accroché ta toile au-dehors de la maison. L'excitation sur le moment est un débordement, tu ne tiens plus en place et refait l'appartement à l'aide de tes pieds, semblant creuser un sillon dans le sol de chaque pièce autre que la chambre exigüe dans laquelle tu viens de peindre. Ivre de peinture, tu relis Bacon, Turner, Basquiat. Même ces vieilles lettres de Van Gogh ou Gauguin (Oviri). Mais cela ne passe pas, les mots des peintres ne t'aideront pas, tout au plus leurs oeuvres te rabaisseront, tu ne les égaleras jamais, tu n'arriveras jamais à leurs chevilles. Et c'est tant mieux, qui voudrait de ce moment funeste où il n'y a plus rien à foutre de cet état de manque. Tu t'asseois dans un coin en tremblant, Nicolas Bouvier avec son L'usage du monde t'occupe à peine pendant que tu trembles toujours en t'allumant ta dixième clope de la journée. Tout tremble, tout le monde tremble, c'est un séisme sans envergure que l'échelle de Richter (voir de Jacob) ne peut pas mesurer. A nouveau tu regardes tes mains pleines de ce cambouis multicolore, tu les trouves jolies un instant, puis il te faut les laver pour cacher les traces. Pour enlever les preuves. Retour à la chambre, tu ranges le tout, tu laves les tâches qui restent au sol, t'essaies d'aérer ces odeurs délicieuses de térébentine, d'huile et de white spirit qui tardent à partir, faute de la chaleur, du soleil de petit soldat de plomb qui règne dehors. Faute de tout, tu fuis. Il faut fuir alors sans avancer mais sans reculer. Ne pas avouer le crime si l'on te choppe, partir sans se retourner sur les corps chimériques-inachevés de tes toiles; les oeuvres que tu as commises par le passé plus celle que tu viens de faire. Enjambe alors les corps, tu te dis pour toi-même, dis à ce petit bonhomme qui te parle qu'il faut partir, aller loin pour cacher le corps. Mais aussi que tu te sens encore plus coupable de ce meurtre. Ce meurtre délicieux que tu viens de commettre... Ce meurtre tu l'as bien savouré, mais maintenant tu as peur, tu es effrayé, regarde-toi...tu recommences à trembler...
Qu'est-ce que tu baves? J'ai fait le premier autoportrait de ma vie.
Non, il y'en a eu d'autres avant cela. Oui je sais, mais celui-là c'est le seul. L'unique.
Pourquoi donc? Parce qu'il est effrayant de sincérité, de simplicité et de sournoiserie.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

overdose(s)