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29/07/2010

254. il était une fois les grandes villes


Si je travaille dur à me briser les reins pour elle c’est à cause du déclin de mon empire. Ma petite personne importe aussi, car elle dépend de moi. Quand je vais bien elle a ce sourire formidable qui inonde son visage. Alors je me crispe dans une posture étrange, cachant le vrai du faux, je vais bien, je m’en convainc moi-même tu sais. J’ai réussi d’ailleurs à m’en convaincre suffisamment pour échapper à cette terrible noirceur pendant des années. Je ne perdais le cap que dans des moments intimes, ces moments solitaires qui prennent subitement sans prévenir. J’ai trop jugé les personnes.
A un moment je ne voyais plus qu’elle, aujourd’hui encore, je l’imaginais dans la voiture de devant, un van noir au vitre teinté qui portait le numéro de l’Essonne fièrement. Je l’imaginais à l’arrière, droite comme un i. Passé le grand virage, la voiture bifurqua. Je me souviens avoir ralenti, je voulais savoir si elle était dedans. Mes mains de travailleurs se sont crispés un peu plus sur le levier de vitesse de ma propre bagnole, mes ongles s’enfonçant de peur dans le cuir de l’automobile. Mais en fait elle avait disparue de la surface de la terre depuis longtemps. Pire encore, elle n’avait jamais existée. Je l’avais rêvé, je l’avais fantasmé. Je l’avais trop aimé. J’étais devenu le Patrick Dewaere de la farce.
J’ai commencé, plutôt recommencé, à vivre. J’ai travaillé dur, pour elle. Partout je l’imaginais, je lui parlais, je lui adressais des lettres que je ne postais jamais tel une chanson. Je me forçais à aller bien, puis un beau jour, ou était-ce une nuit, on m’annonça enfin que j’allais être débarrassé de ce fardeau bien trop indigeste. C’est un cancer, qu’il m’avait dit l’autre, dans sa tenue blanche bien trop grande pour lui et ses lunettes qui cachait la plus jolie face de son visage. Je lui ai demandé quelle était la mauvaise nouvelle, il n’a pas toussé, n’a pas ri, a simplement repris sur le même ton monocorde la même phrase stéréophonique: c’est un cancer.
Le charabia qu’il employa ensuite me voulait foutu, battu d’avance. Mort-1 Moi-0.
J’ai allumé une clope, en plein milieu du service cardiologie de cet hôpital toulousain. Je n’avais pas fumé depuis longtemps, je m’étais acheté un paquet pour l’occasion. Au final la première bouffée est étouffante, toujours. C’est la dernière que l’on apprécie le plus, qui redonne envie de s’en griller une autre de suite. Maintenant que je sais que le monde entier va disparaître, je tenais quand même à te prévenir que je t’ai aimé, pendant des années. Je t’ai aimé plus qu’il n’en fallait. Mais toi aussi, en tant que souvenir tu vas mourir ainsi que cette lettre qui s’effacera un jour. Plus rien n’est éternel, encore moins le temps qu’il nous reste.

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