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05/07/2010

281. les copains d'abord


De la cour il voyait le soleil, donnant sur les tuiles des maisons, réchauffant les briques, rebondissant sur les fenêtres tout là-haut. Il ne comprenait pas trop ce qu'il foutait là, à cette fenêtre de cour précisément, écoutant les enfants s'amuser sur la plage, épiant les touristes qui passaient par là avec leurs gros appareils photos compensateurs, la petite famille Ikéa, les sourires en kit qu'on ne porte que pour les vacances, faux-semblants impardonnables qu'un jour on enverra valser. Dans cette tenue précisément, jean troué t-shirt trop large, larges coups de pinceaux - coulures de peinture un peu partout sur ce corps de coton. Fumant sa clope à l'étage, entre la vieille avec un bras en moins, celle qui n'attend que l'ouverture de la porte pour venir raconter sa vie, et entre la logeuse, l'employeuse, la femme exceptionnelle de maison qui court encore plus que lui, cette gérante d'acier au caractère forgé qu'on la croirait sortie du ciel même.
Dans cette cour aux deux petits chiens, il regarde le soleil, ses éclats, se dit que quelque part sur la plage on s'amuse pendant que les autres triment, la vie est triste, impitoyable, impardonnable quand on ne peut se contenter d'un peu de plaisir, il faut bien gagner de l'argent rassurons-nous.
Alors la cour oubliée de tous, près de la mer pourtant, les mouettes qui gueulent leur plaisir tout au-dessus des têtes des autres, des pas pareils mais pourtant semblables, on peut croire à l'oubli. Il n'y a plus de mer, plus de mouettes, plus de passants épanouis au sourire Nikkon. Ne reste qu'un immeuble semblable à cette image centrale du film Delicatessen. C'est étrange se dit-il en lui-même. C'est curieux, sans doute, dans sa vieille caboche de vieux loup solitaire, celui qui parcourt les villes à la recherche de lui-même. Un vieil enfant qui regarde les autres s'amuser dans la cour d'école, il aimerait bien être comme eux, prendre le large sur un bateau de papier, s'en aller loin avec ces camarades de figuration qui naviguaient en mer pénard sur la grand-mare des canards. Ne plus oublier. Jamais.

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