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31/03/2010

347. les hommes meurent parfois beaucoup plus tôt qu'on ne les enterre. Vous avez revu Jim?


Je n'avais point l'âme à attendre la mort, je suis parti l'a chercher un soir de juin, aux alentours du 5. Il faisait un temps de chien, un véritable temps de chien. Et le capitaine sur le pont à la mine patibulaire ne se lassait pas de son emprise terrifique miséreuse qu'il possédait sur tout mon être. La proue du pont était d'une noirceur étrange, je pouvais voir mon visage au-dedans, au-travers, jusque par-dessus bord, dans l'eau agité de la mer de sable.

Nous sommes arrivés à la colonie des montres perdues, c'est là que j'ai compris l'invraisemblance de ma littérature.

"Avez-vous déjà lu du Poe?

- Pardon; ai-je demandé à la personne qui m'avait posée la question.

- Je disais, avez-vous déjà lu du Poe?"

Et ces yeux étranges qui me fixaient, le compris-je, était ceux glacial de la mort un soir de 5 juin.

Au demeurant j'ai répondu que non, je n'avais, avouais-je, d'aucune sorte parcouru les livres de ce Po-là, et la Mort m'apprenant qu'il n' s'agissait pas de ce Po-là mais plutôt de ce Poe-ci m'apprit le véritable Edgar Alan Poe, Poe le seul qui valût la peine d'être lu en ce bas monde un soir de réclame. Elle toucha alors mon front, j'avais l'envie de cette étreinte depuis un certain moment déjà, mais le toucher se changea en une douleur affreuse qui me réveilla en un endroit sombre, au devant d'une librairie toute en bois et en pierre, faite de silence et de pages qu'un vieil homme centenaire agitait du mieux qu'il pouvait.

"Bonjour monsieur, puis-je avoir l'intégralité des oeuvres de Sir Edgar Alan Poe?" lui ai-je demandé.

Il me renvoya un léger sourire alors qu'il cherchait dans sa mémoire les références de ses propres étagères puis disparu d'un seul pas à l'intérieur de sa caverne. Je lui emboîtais alors le pas, n'osant qu'à peine intervenir au milieu de son hamas de poussière, de livres, de pages, de bois, de pierres et de certains cadavres de rats et d'insecte.

J'avais dans les poches quelques pièces, à peine de quoi payer, mais le vieil homme se résolut de me faire prix des livres s'il me venait à les ramener il me reprendrait dans ce cas-là gratuitement. Je signais la décharge et l'encoche, sortit dans la rue armé de ma redingote aussi poussiéreuse que ses étagères l'étaient devenues avec le temps et je me suis empressé de lire, de lire, de lire si bien que la notion du temps se distorda pendant de longs mois. Je restai prostré, cherchant à résoudre une question que la Mort ne m'avait pas posé, cherchant la réponse véritable de cette énigme farfelue, un quelconque secret qui se trouvait là, dans ses pages.

Les mois passèrent, j'avais perdu le fil du temps, je devenais plus sûr de moi en gagnant en connaissance, mais la Mort ne se dévoilà pas quand j'en vins à percer enfin le grand mystère de la vie et de la mort. Emboîté quelque part entre le chat noir, le corbeau et la rue Morgue, il me fallut du temps pour me rendre à l'évidence qu'il n'y avait rien d'autre que des mots, agités sur un papier jauni, je m'empressais de jeter le tout au feu afin que les mots même de Poe fuient loin de moi et que j'en vienne à la folie.

J'errais seul, de longues semaines, sur les pavés à l'heure des sorcières, fantôme errant la nuit qui dépensait sa pension en buvant ou en jouant. mon âme tortureuse avait vue les yeux de la Mort, et la Mort l'avait jeté. Un soir, sans trop savoir ce qu'il me prit, j'en vint à me ressaisir. J'avais fait convenablement ma toilette, je m'étais habillé prestement une fois rasé de frais de mes plus beaux habits (les chaussures vernies des fêtes, le pantalon de velour gris sombre un peu large tel que le voulait l'usage, la chemise blanche amidonnée, le gilet noir revenu par-dessus et enfin une veste-redingote en queue de pie qui seillait plutôt bien à mon teint). J'aggrémentais le tout de mon haut de forme précieux ainsi que de ma canne en laiton dont le pomeau brillait de mille convenances, et je sortis ainsi paré dans la rue me joindre à la foule qui allait et venait, plutôt qui allait dans mon sens opposé, si bien que je les suivis afin de voir ce qu'il s'agissait. Un homme, dont le visage m'était caché était étendu suur le pavé. Partout autour on racontait qu'un fiacre l'avait renversé, ou qu'il était ivre et qu'il avait dérivé sous les roues, ou que sais-je encore comme affabulations dont le badaud basique est friand de coutume.

Je continuais ma route, ne voulant ni en voir plus ni en savoir plus. Arrivé à un carrefour le brouillard se leva, pénétrant au travers de mes habits, je venais de me saisir de ma montre, elle tournait à l'envers au creux de ma main et le jour annoncé était le 5 juin. Il faisait frais.

J'attendais au carrefour qu'un fiacre dont je n'entendais que les sabots des chevaux passent, après tout je n'avais pas envie de finir comme ce pauvre homme plus tôt!

Le fiacre, d'un noir de jais, aux panneaux laqués et aux ornements lugubres s'arrêta en face de moi. La porte s'ouvrit par enchantement, les marches descendirent suivant l'usage, sans trop savoir agir je me retrouvais déjà à l'intérieur, étant dans une salle d'attente étrange dont l'heure parassait maintenant aller à l'envers tout comme ma montre.

"Quelle magie est-ce là?" ai-je chuchoté.
Les ténèbres bougèrent, une chose m'observait du haut de son perchoir, au-dessus de moi. Je sentais l'étreinte glacée de ses tentacules me glisser le long de mon épaule, de mon cou sur le côté gauche, de mon visage sur le même côté, nul doute possible, c'était Elle.

"Tu as lu Poe? demanda-t-elle sans ambage.

- Je l'avoue, mais sans comprendre quel intérêt aviez-vous à me faire lire Poe.

- Par curiosité, ce n'était qu'un conseil de lecture.

- Est-ce là tout ce dont il s'agissait??

- Oui, c'est tout ce dont il s'agissait, rien de plus, rien de moins."

Je pris conscience des mois inutiles que m'avait coûté ces lectures, alors me vint le désir que jamais plus la Mort ne me reprendrait de jouer avec elle. Je ne me laisserai plus avoir à ce jeu-là, il n'en était plus question, j'avais d'autres choses à faire de mon temps.

Fâché mais courtois, je lui présentai mes hommages et m'engagea à sortir lorsque la mort m'interpella par mon nom de famille, je me retournais à la pénombre, afin de mieux l'écouter:

"N'aviez-vous vu, par autre hasard en cette nuit, un homme attendant que je vienne le chercher?

- Si vous parlez du macchabé ivre du fiacre je vous le confirme, il est bien raide celui-là, joli travail que votre oeuvre. Mais n'est-ce pas du travail encore pour vous? il vous faut aller le quérir et c'est à deux rues d'ici, je vous conseille d'y aller vivement.

- Pourquoi donc? ria-t-elle. Je voulais seulement vous apprendre son identité, nul besoin de courir après une âme en vadrouille quand elle se trouve alors entre mes griffes."

Le sang se glaça dans mes veines, j'éprouvais une vive douleur qui me remontait dans les poumons, tout à l'intérieur de moi, et j'avais de plus en plus froid.

"Ce n'est pas juste" ai-je prononcé. Mais déjà les mots se perdaient, le fiacre avançait à vive allure,et le cocher, paix à son âme, faisait un bruit d'enfer. Je me suis alors saisi d'un mouchoir dans le revers de ma veste, j'ai épongé les gouttes de sueur qui coulaient sur mon front et je me suis assis sur le banc situé dans mon dos. La mort glaciale, la mort, cette putain, tendit la main et me proposa à boire.

"La nuit sera longue" me prévint-elle dans un sourire massacre que Poe ne saurait regretter.

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