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02/10/2009

476. de mes étreintes je garde le goût des noyaux brisées


Je me souviens d'un temps un peu plus reculé, la grande réception qui ressemblait à une farce. Tous ces gens silencieux en costumes qui se prenaient tous pour monsieur-je-suis-quelqu'un-de-bien-et-d'important que ça donnait envie de leur vomir à la gueule ce même acide charbonné qui couve dans mes veines.
Je sais plus pourquoi j'étais invité, je m'en souviens seulement de n'avoir pas eu le choix. Catastrophiquement parlant la salle de réception était grande, j'étais habillé n'importe comment (comme un adolescent qui se cherche sans y parvenir) parmi le grand peuple et les filles qui se font voir pour les derniers chiffres du mois.
Gaspard était là aussi, dans un coin de la salle, le plus sombre au possible, à violer cette jeunesse décadente d'un autre monde. Il poussait des grands "ah", ces râles palpables qu'on a du mal à apprivoiser dans les ténèbres en se déchaînant sur les fesses d'une quelconque mademoiselle D. âgée d'à peine seize ans. C'était le petit côté splendeur des Amberson qui me donnait encore le droit de sourire, ces fausses parures dorées, ces tableaux rafistolés qui remontaient à la dixième génération en arrière, les petits garçons qui viraient pédés en étouffant la lignée dans l'oeuf. Dans l'intime ils s'expliquaient aux plus jeunes rebelles/cousins que les soirs de pleine lune fallait bien s'amuser avec le frangin d'à-côté plutôt que la soeur de l'autre pièce. Et les lits d'alors se rapprochaient pour découvrir une sexualité qui leur apprenait beaucoup plus que la vie elle-même en avait fait jusque là.
Mademoiselle D. avait fini par ressortir de son coin sombre, une trace blanche sur le côté de la robe qu'elle n'avait pas remarquée, bien trop fier du fardeau de sa virginité anale dont elle venait de se débarrasser. Gaspard lui venait de mourir de plaisir, il attendait sur une chaise vétuste que le grand, le puissant de la maison, en vienne à lui présenter la main de sa seconde fille, une jeunette qu'il n'avait touché que du regard et pour qui il allait devoir redoubler de délicatesse pour finir le tableau de chasse des trois soeurs (la plus grande après un dépucelage ratée s'était tournée vers lui, sentant le confort de ses bras musclés et la puissance de l'homme qui, une fille entre ses doigts, ne pouvait contenir un flot de gros mots plus forts encore que son arrogance).
C'est une autre personne que j'avais remarqué ce soir-là au bal du diable, parmi les convives qui dansaient au milieu des désespérés, les porte-feuilles bien en vue. Un pickpocket se satisferait une année entière de ce qu'il pouvait bien trouver à sa portée dans ce grand luxe.
Mais je n'avais d'yeux que pour L., sa grande robe sombre lui retombant dans le bas du dos, bien ouverte, et ses seins de bakélites qui poussaient un peu plus encore l'échancrure du devant. Ses cheveux blonds et la pâleur de sa peau se faisait oubliée dans le bleu intense de ses yeux.
Elle s'étonna de mon allure, de mon contraste, de mon étonnement non-dissimulé. Ma bouche ouverte laissait s'échapper un souffle suspendu au niveau de ses seins.
A mes yeux tout était parfait chez elle, bien qu'elle ne fut pas la plus belle des femmes de cette soirée. C'est quand elle se mit à parler avec moi qu'un flot de culture se déballa, interrompu plus tard avec le maître d'hôtel qui prit congé de la fin de la fête. Je me souviens avoir regardé autour de nous, il n'y avait plus personne. Nous étions seuls. Quand je me suis retourné sur elle, sa bouche n'était plus qu'à quelques centimètres. Je me suis dépêché de l'embrasser et j'ai vécu trois ans de grâce avec elle et sa robe magique.

Désormais j'ai les cheveux courts et le regard amer, je suis de retour dans la maison familiale pour me ressourcer et je chante un peu trop fort quand j'ai bu. Mademoiselle L. a quitté ma vie, j'ai quitté la sienne. Nous ne sommes plus nous. Cette histoire qui ne tient qu'à un fil, celui de la mémoire, s'atténue peu à peu dans la blessure du corps. Je ne traîne plus mes pieds dans les réceptions bourgeoises, je ne traîne plus mes pieds que pour aller du lit à la salle de bain et de la salle de bain à la cuisine. Le monde du dehors n'existe plus, bientôt je ne serai plus. Je m'envolerai alors, je me dissoudrai dans la baignoire des sentiments et il ne restera plus aucune trace de moi.

Gaspard est mort depuis. La dernière fois que je l'ai vu il venait de se serrer la troisième des soeurs qui lui avait laissé un cadeau irrité au niveau des cuisses (ou un peu plus haut je ne suis pas allé vérifié) et me sermonnait sur la protection. Je l'ai vu prendre la tangente, courir après une hypothétique nouvelle conquête à vive allure, tourner à gauche au bout de la rue pour ne plus revenir. Un camion de pilules contraceptives l'avait heurté de plein fouet.
Et Gaspard gisait là, au milieu de ces petites billes, en souriant de sa mort, lui qui un matin de décembre voulait avorter de sa vie entre les cuisses d'une personnalité d'outre-manche. Il serrait si fort un préservatif dans sa main que c'était ridicule, ce cadavre sur la chaussée au milieu de petites boules, une pub parfaite. Son visage souriant collait bien à la scène. j'ai vu les photos, je sais que ses parents sont allés reconnaître le corps. Je sais qu'il y avait un enterrement et qui était invité. Si je n'y suis pas allé ce n'était pas à cause de ça, aujourd'hui encore je cherche la raison de ma fuite, j'essaye de comprendre pourquoi ma présence à l'enterrement jeta un froid. La provocation ultime faite au meilleur ami qui souriait toujours dans son costard impeccable dans la boîte bien ouverte, trois veuves pleurantes sur le corps qu'un mac consolait à grands rails de coke. Il y a une couronne qui orne sa tombe, elle porte toujours mon nom, dessus j'ai fait inscrire le titre de son film préféré. Arrivederci amore ciao.

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