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01/10/2009

477. au commencement était le verbe



c'était simple. Les Monkey Bizness chantaient un bon vieux rock des familles et ma mère finissait de me tondre les cheveux. J'avais commencé tout seul, perdant ainsi les longues tignasses foncées qui me grattaient sans arrêt. Les Monkey Bizness c'était un vieux 33 tours, le truc que tu passes ton temps à tourner et retourner pour faire durer le plaisir. Je regardais les mèches au sol, une part de moi s'en allait pour un temps. Ce n'est pas pour autant que je me suis rasé, non, j'ai regardé dans le miroir en face de moi l'être que j'avais été devenir celui que je suis maintenant, à l'heure où j'écris ces lignes, à l'extérieur. Mon vieux jean délavé était le seul rempart contre la nudité en face de la femme qui m'avait fait naître, le haut de mon corps lui était bien évidemment nu. Arriva le moment où je n'en pouvais pas plus, je passais le relais à ma mère qui en profita pour stopper le bruit de fond d'eau-qui-coule avant de continuer à raccourcir le reste. La part de moi la plus longue de mon corps s'en alla. Mes yeux étaient fixés pendant ce temps sur mon reflet, occupé toujours à me détailler, moi et mon regard assassin qui confirmait bien l'état d'esprit dans lequel j'étais.
J'étais triste, seul et désemparé, le fil de la tondeuse chatouillait mon dos, j'avais la chair de poule pour tout ce qui c'était passé un peu plus tôt dans l'après-midi. Je me souviens qu'un peu plus tard je me suis retrouvé encore dans la batterie de miroirs de la petite salle de bain encombrée. Partout mon reflet tondu s'étonnait de me voir si seul, si sombre, si mort.
J'avais bien amputé une partie de moi.
Les lumières de la salle de bain vacillaient péniblement, ma mère de l'autre côté de la porte close changeait de disque pour un Simon and Garfunkel dégotté quelques années en arrière dans un boulot que j'exécrais toujours autant mais la lapidation en place publique de mon bon vieux corps ne se fera pas aujourd'hui à travers les mots-travaux d'autrefois. Je suis un jeune sans emploi mais quand même, il y a des hors-sujets à éviter.
J'étais donc dans cette salle de bain, maintenant en boxer, mon jean délaissé de l'autre côté. J'étais là à me regarder m'enfuir dans l'eau tiède du bain avant de me saborder. Je comptais toujours autant me fuir, m'échapper des miroirs qui avalent les portraits de l'âme, ceux qui parfois ne savent pas mentir, ou alors ils décèlent les barrières du corps pour découvrir l'âme tout au fond. Je ne sais plus. Je suis simplement rentré en communion dans l'eau du bain tel le nouveau né, il n'y à rien de biblique là-dedans. Ensuite j'ai fait couler l'eau chaude, je me suis arrêté quand celle-ci était trop brûlante et que de la vapeur s'élevait dans la pièce à faire fissurer la peinture. the boxer du couple Simon and Garfunkel venait de commencer, c'est à dire que ma mère avait tourné le vinyle bridge over trouble water sur le side 2. A ce moment-là j'étais entouré d'un vacarme des plus fous avec la machine à laver qui se mettait en route à un mètre de moi. Alors j'ai cherché l'abstraction, je me suis plongé un peu plus en méditation. J'ai dû ignorer le bruit de la pièce (ce qui comprend la machine et l'eau), ma mère passa d'un coup l'aspirateur, abstraction de ça. The boxer n'était plus qu'une toile de fond. Abstraction aussi. Au-dehors on ravalait la façade de ma maison, la perceuse qui cisaillait le mur au bruit d'enfer: abstraction.
Je me suis retrouvé suspendu dans un silence des plus reposants, j'ai fermé les yeux en m'allongeant un peu plus dans la baignoire, j'étais près à prendre l'eau de toute part quand la petite abeille vint siffler sur la tulipe rouge de mon état de bien-être. J'ai vu cette femme, j'ai revécu la scène de cette après-midi, et le bruit revint de plus belle pour que j'échappe à ça.
L'abstraction ne marchait plus.
Agacé, j'ai plongé la tête dans l'eau, recommençant toutes les trente secondes pour goûter à ce plaisir de la noyade. A chaque fois je ressortais de l'eau dans un état d'apesanteur, perplexe, puis, j'ai penché la tête en arrière et j'ai laissé tous ces bruits m'envahir sous l'eau alors que mes oreilles prenaient le large.
Le bruit de la perceuse, l'aspirateur, Simon and Garfunkel, ajouté à cela la résonance de l'escalier et les personnes qui montaient ou descendaient dedans à grands renforts de paroles et de chaussures sales. Un instant ça m'a amusé, le froid me parcourait mes genoux sortit de l'eau. J'avais beau me renfoncer un peu plus dans l'eau (ce moment est semblable à ramener la couette la nuit sur son corps nu) le froid me perçait à jour. C'est lui qui finalement eût raison de moi et me poussa en dehors de la baignoire.
La serviette nouée autour de la taille j'ai redouté ce moment, ce retour à la chambre. A l'extérieur le soleil se couchait enfin derrière les montagnes, je palpais les draps, dans le lit il y avait encore son odeur. J'aurai apprécié m'en étouffer de ce parfum...
J'ai serré un peu plus les draps, cette après-midi il y avait encore son corps nu et chaud au-dedans, ses yeux levés au ciel qui disait en même temps que c'était fini. Je m'en vais. Aurevoir. On se reverra de loin en loin, ok?
Elle se rhabilla, en un éclair d'excuse elle était dehors, disparue à jamais. Elle était sortie de ma vie. A ce moment-là j'avais tiré les draps sur moi, j'avais pleuré, et pour éviter les larmes aussi redoutables que redoublantes j'ai évité de mettre Cambodia de Kim Wilde, on sait jamais, ça pourrait faire penser à un film.

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