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19/04/2010

328. le piano sous l'océan; l'orchestre de la mer


Au lever, trois petites notes. Une blanche, une noire, une croche.

Je n'ai jamais rien connu de tel. Un petit air; un refrain qui ne me quitte plus.
Un sourire sous mon soulier, j'avale mon café refroidi de la veille, j'en grille une, j'attrape ma mallette et je sors. Fermant mon appartement à clé je délaisse toute une vie et des souvenirs. Plus aucune importance. Je garde la clé en main, dépose celle-ci à mon voisin de palier.

Pouvez-vous garder ceci pour moi ai-je dit. Je suppose qu'il a dit oui.
J'étais impressionné par son regard si intense, malgré la vieillesse il avait encore cette force, ce pouvoir, que les hommes de fort caractère accumule à vie. Je n'avais jamais regardé mon voisin de cette manière, comme quoi on ne connait jamais nos proches réellement.

J'ai roulé sur trois kilomètre cinq cents.

Tourné à droite, grillé l'épave. Ici ça sent la rouille, le maximum de déchets, la mayonnaise usagée. Quelques mouettes rieuses volent en rond au-dessus, se déchargeant parfois de quelques grammes. Tony, tout au fond de la décharge, il ne fait que tendre la main.

La clé bien trop lourde est maintenant minuscule dans sa grosse main velue.
Il me sourit, m'allonge une mallette, entassée dedans: une rangée de billets.
Je pars à pied sans un mot, sans un aurevoir. Ce matin il fait froid. A midi je déjeune d'un sandwich en plein centre-ville. Intra-muros. Attablé au café du coin d'en bas du bout de la ville d'en face du port. Le patron tire la gueule comme à l'accoutumée. Ses tatouages parlent au nom de la France entière. Mépris sur la marchandise, j'avale ma bière d'un coup sec. Je me lève. Je disparait en laissant une batterie de petites pièces. Je passe devant son regard fier. Je sors. Le soleil est haut dans le ciel. Ce matin il faisait froid. Cet après-midi on sent que le ciel va se couvrir d'un manteau opaque. Je crois un clochard au fond de la rue devant un supermarché. Tiens, lui dis-je, c'est tout ce que j'ai. Je tends une liasse. Cinq cents euros. Il croit à une blague.
Je cours pour avoir le bus à temps. Direction l'armée du salut et salut!

Distribuant les billets dans des fringues usagés, je me demande quelle tête feront les personnes à la rue quand ils mettront les mains dans les poches. Et ça vaudra tout l'or du monde. Mais je ne serai plus là pour assister à ça.

Une femme passe devant moi, gueulant plus qu'elle ne parle.
C'est que c'est dur la vie quand même! dit-elle. Et elle joute: et ce foutu bidule qui ne veux pas marcher; en regardant son téléphone. Je lui tends le mien avec le chargeur. Tenez, je vous le donne. Elle me dévisage, ne dit pas merci, n'y croit pas. Je m'enfuis sans attendre un retour.

Ma veste me sers de trop, mes vêtements m'oppresse. Je me débarasse de tout en courant sur la plage. J'enlève d'abord mes chaussures, bien que le sable soit froid puisqu'il commence à pleuvoir, j'apprécie ce contact. Je l'ai toujours aimé.

J'enlève ensuite ma veste, ma cravate si précieusement nouée au cours des années. Je me débarasse de ma chemise, j'ai l'air d'un fou comme ça à arpenter la plage torse-nu, en abandonnant tout ça sans tiquer; je ressemble à un vieux pervers. Je cours dans les vagues, le roulis incessant. Au dernier moment j'ose enlever mon pantalon déjà trempé jusqu'aux genoux.

Je me débarasse dans l'eau de mon dernier vêtement. Des personnes sur la rive. Leurs voix qui s'éloignent. Plus rien ne me retient désormais. Je suis bien. Je fais déjà corps et âme avec la mer en écoutant ce dernier écho amplifié du monde des vivants:

"vous avez vu ce type là-bas?"

Me voici noyé, et tout au fond de l'eau se trouve mon père.

Il m'accueille à bras ouverts sur le pas de la porte. Il ouvre la porte. Une lumière forte m'éblouit derrière elle, je rentre et...

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