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07/01/2010

406. cherchez encore mais ne passez pas par là


Puisqu'il n'en fallait qu'un dans cette voiture immense à la carcasse rouillante sur cette pauvre route de fin de vallée. Lancée à 300 sous la pluie qui se disait détester le goudron mais continuait à avancer. C'est ainsi qu'il écrivait sans perdre l'espoir que la pluie cesse, trimballé dans tous les sens comme au temps des diligences, lui qui rêvait d'écrire sur ces esprits flamboyants de cette époque-là sans trop savoir par où commencer. Alors il disait que la vie...puis laissait sa phrase en suspend dans l'air car il n'avait plus de remarques de bon sens à placer ni même une citation de Nietzsche dans la poche. Le bonhomme qui lui avait monté ses valises lui avait pris la dernière apostrophe. Pourtant il fallait continuer dans ce village où l'on se dépouillait de tout, avancer sans perdre les yeux par derrière. C'était ainsi pour bon nombre de philosophes - et bien qu'il n'en fut un en aucun cas - la route se terminait d'un coup.

"Au dila du chiman il y a pu. Rien missié, rien missié" tentait vainement de lui expliquer l'ancien colonisé. Et bougrement vrai, la révélation de cette fin équivalait bien une citation de Nietzsche. Il pouvait continuer d'écrire, maintenant que la voiture immense n'avançait plus et que les touristes embarqués avec lui dans cette galère avait tout le loisir de se détendre, de sortir râler ou encore de fumer.

"hum hum" toussota-t-il pour faire comprendre que la fumée d'un gêneur lui bloquait les bronches et que les bronches bloquait sa respiration et que sa respiration handicapait son mouvement et que le mouvement non-effectué était du temps de perdu sur son travail puisqu'il ne pouvait pas écrire. Alors il devait mémoriser la phrase le temps de tousser, ou du moins de faire semblant de, ensuite l'appliquer sur le papier de la même manière que les enlumineurs des îcones russes prenaient soin de coller la feuille d'or au millimètre près.

Il se souvint alors d'un enlumineur rencontré à Tchekov, ce petit village en bordure de mer prusse, pour qui il s'était pris de sympathie. Il ne se souvenait tout de même point de son nom, mais le récit de sa nuit était là. Il se souvenait de cette nuit agitée, de l'élan qui lui avait pris pour clâmer les meilleurs mots de ledit philosophe. La poésie, renchérit le russe, passe par la boisson. Le coeur des hommes est fait de la boisson qu'ils avalent. Nous nous avalons en sommes.

Mais René soupira en essayant de disperser ses souvenirs aussi loin que son pays de naissance l'était de cette maudite voiture. Il s'étonna, pourquoi avait-il pensé à cette foutue Russie et son souvenir qui était à des lieues de ses idées actuelles sur le fait de se trouver soi-même quand il n'y a plus rien à découvrir? Voilà encore une question qu'il se devait de poser, car la fourmi du désert avancait bien plus vite, car les images se succédaient au mot et que la maudite voiture n'allait pas pouvoir continuer plus loin qu'il le fallait. Alors il se prit la tête dans les mains, les larmes roulaient sur ses joues, voilà qu'il ne se comprenait plus, qu'il ne savait plus rien, que l'infini qu'il pensait acquérir avec l'immortalité se jouait de lui. Il redevint un vulgaire enfant, ravala toute son intélligence de pacotille pour pleurer de plus belle. Et les larmes le noyait presque sous mille tonnes de flottes. Il ne se sentait plus couler, il ne sentait plus ses joues, et il était bien incapable aussi de dire depuis combien de temps n'avait-il pas pleuré ainsi. Alors tout son bel argent n'était rien d'autre qu'une putain dans le désert qui attend le client. Aussi inutile que puisse l'être la brindille verte dans une meule de foin.

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